1815-1870 La Révolution inachevée, par Sylvie APRIL
Histoire de France SLD de Joël CORNETTE, Éditions BELIN
NOTES de LECTURE
CHAPITRE I : de Louis XVIII à Louis-Philippe : la monarchie limitée
Il faut distinguer 2 périodes bien nettes, la Restauration, dont Victor Hugo a vanté dans Les Misérables « … le tour de la parole et de l’intelligence. Le vent cessa, le flambeau se ralluma. », et la monarchie de Juillet
Le retour des rois (1815-1830)
Suite au déclin de l’Empire, aux défaites militaires dans la foulée de la retraite de Russie, les « alliés » envahissent la France dès le 1er janvier 1814. Ils veulent faire (« imposer » par le traité de Paris qui ramène la France dans ses frontières) la paix avec Napoléon qui abdique le 6 avril et s’accordent à défaut sur louis XVIII, frère de Louis XVI.
Il refuse le projet de constitution préparé par le gouvernement provisoire emmené par Talleyrand et impose rapidement et sous la pression des « alliés » l’équivalent sous le nom de Charte du 4 juin 1814. Elle maintient les acquis de la Révolution, égalité, liberté, propriété mais impose une gouvernance centrée autour du Roi personnage suprême qui règne à vie, dont la succession obéit aux principes monarchiques, mais qui reste entouré de 2 chambres, celle des pairs et celle des députés qui votent les lois et le budget.
L’absence de consensus autour de cette évolution favorise le retour de Napoléon à Paris le 20 mars 1815, rebaptisé « l’Aigle » pour l’occasion et acclamé par l’armée, ce sera les « Cent-Jours ». Ce retour est mal perçu par les « alliés » aussi il se trouve dans l’obligation de reprendre les armes. Cela se soldera par la défaite de Waterloo le 18 juin qui entrainera l’abdication de Napoléon le 22. Ensuite une nouvelle Terreur ayant pour cible ses soutiens sévira notamment dans le Sud traditionnellement royaliste. Il s’en suit également une épuration auprès des soutiens des Cent-Jours.
La nouvelle chambre dite « introuvable » élue en août 1815 confirme son soutien à la Monarchie. Elle est cependant dissoute en septembre 1816 après avoir interprété la Charte dans le sens d’une influence renforcée du pouvoir législatif de la Chambre par rapport à celui du Roi.
La nouvelle Chambre marquée par le recul des Ultras voit cependant grandir leur influence à travers le Gouvernement du duc de Richelieu rebaptisés « Doctrinaires ». Ils prônent la prééminence du Roi et un certain libéralisme économique. La loi électorale de 1817 crée un pays légal au sein du pays réel au sens où le corps électoral est réduit à 90 000 électeurs, moyens propriétaires, commerçants et petits industriels tous réceptifs au idées libérales, et 18 000 éligibles.
1820-1830 : de la restauration à la réaction monarchique
Le 14 février 1820, le duc de Berry, unique Bourbon pouvant prétendre au trône suite à Louis XVIII dont il est le neveu, est assassiné par Louis Pierre Louvel, ouvrier bonapartiste. C’est un acte désespéré qui marque l’échec de la politique libérale vantée par Saint-Simon dans sa célèbre parabole publiée en 1819.
En 1820 la naissance « miraculeuse » d’un fils de Louis XVIII après 7 ans de mariage redonne des perspectives aux Bourbons et attise la lutte entre les Ultras avec notamment l’élection comme député de l’Abbé Grégoire, un rescapé des États Généraux, et les Libéraux. Cette lutte exacerbe la presse de chaque bord avec pour conséquence la censure et des éditions clandestines mais tournera à l’avantage des Ultras sous le ministère Villèle jusqu’en 1828, soutenu par une Chambre tout à son avantage élue en 1824.
« Le roi est mort, vive le roi ! »
Louis XVIII meurt en 1824. Son frère, le comte d’Artois, accède au trône sous le nom Charles X. Auparavant favorable au retour à l’Ancien Régime, il affiche une ligne modérée, favorable à la Charte de 1814, mais cependant démentie par son sacre le 22 décembre 1824 d’une autre époque, de l’Ancien Régime précisément. L’opposition libérale est parfois soutenue par des élans populaires tels que celui manifesté lors des funérailles du duc de la Rochefoucauld-Liancourt en 1827 qui rappelle celles du général comte Maximilien Foy en 1825, tous deux des libéraux proches de Napoléon en son temps.
CHAPITRE II : 1830 une révolution et une monarchie au profit de qui ?
En mars 1830, les députés se rebellent contre un roi soupçonné de s’éloigner de la Charte. En réponse il dissout la Chambre et entend nommer les ministres et procéderer par règlements et ordonnances. Etablies par les ministres Polignac, Chantelauze (justice) et Peyronnet (intérieur), la 1ère rétablit l’autorisation préalable pour les journaux, la 2ème modifie le régime électoral qui a pour effet d’écarter du vote la bourgeoisie d’affaires au profit de l’aristocratie foncière qui lui est favorable, les 3ème et 4ème dissolvent à nouveau la Chambre et prévoient de nouvelle élections.
Les trois glorieuses
Je 26 juillet 1830 le journaliste Adolphe Thiers sonne la révolte contre la dissolution de la Chambre, suivi par des protestations d’ouvriers, de patrons et d’étudiants au son de « A bas Polignac » et « vie la Charte ».
Le contexte économique est défavorable avec des mauvaises récoltes et le protectionnisme imposé par le congrès de Vienne.
Le 27 juillet la saisie des presses des imprimeries des journaux fait basculer la révolte en révolution et monter des barricades dans Paris et des combats portent les drapeaux tricolores sur les toits de l’Hôtel de Ville et de Notre Dame.
Le 29, Marmont, chef de l’armée de Paris, évacue pour gagner Saint-Cloud où est le roi. Les députés décident la création d’une commission municipale formée de libéraux et La Fayette prend la tête de la Garde Nationale reconstituée pour l’occasion. Immédiatement le roi retire ses ordonnances et congédie Polignac, mais le mal est fait car il échoue à former un nouveau gouvernement. Entre Lafayette poussé par les Républicains et Thiers l’issue est incertaine. Ce dernier appelle le prince d’Orléans resté dévoué à la Révolution et qui accepte la Charte pendant que Charles X gagne l’Angleterre.
Le 2 août Charles X abdique en faveur du duc de Bordeaux fils de Louis XVIII, 9 ans à l’époque, et désigne le prince d’Orléans régent. Cela entraine une division des royaliste entre les branches Bourbon et d’Orléans.
Après avoir hésité à amputer la charte de l’article 14 (le Roi est le chef suprême de l’Etat) et du catholicisme comme religion d’Etat, les députés appellent le prince d’Orléans qui devient Louis-Philippe 1er le 9 août.
Cet épisode est à la fois un échec de la restauration monarchique et un échec de la République qui a laissé passer l’occasion de s’affranchir du Roi.
Une révolution escamotée
Le 14 août la Charte est cependant révisée, le régime devient parlementaire, la religion catholique n’est plus religion d’État et le drapeau tricolore devient officiel.
Si pour certains l’affaire est close, pour d’autres c’est le début d’un processus qui continuera en fait jusqu’en 1835.
La loi municipale de 1831 fait élire le conseil municipal par les plus imposés de la commune avec un minimum de 50 électeurs. Dès lors ce sont près de 3 millions de nouveaux électeurs qui font leur entrée dans la vie politique. Ce système n’est cependant pas appliqué dans les grandes villes où c’est toujours le Préfet qui nomme le maire. La loi électorale de la même année abaisse le cens de 300 à 200 francs d’impôts directs (foncier + patente) pour être électeur aux élections nationales.
Par la loi du 25 juin 1833 les conseillers généraux sont aussi élus au suffrage censitaire avec une éligibilité à 30 ans et un cens abaissé à 500 francs.
Cependant le pouvoir politique reste limité car il nécessite des capacités, la richesse et la raison, et non pas un droit.
Entre républicains et monarchiste l’opinion cultive la nostalgie napoléonienne entretenue par le retour magnifié des cendres de Napoléon aux Invalides en 1833, la mort de l’Aiglon à l’âge de 21 ans, fils de Napoléon 1er et les ambitions de Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er. Ce sont les Républicains les plus actifs dans les grandes villes, soutenus par la presse, les étudiants et les ouvriers.
En 1834, suite à la suspension du journal La Tribune et un projet de loi liberticide pour les associations et l’arrestation de 150 meneurs de la Société des Droits de l’Homme, les Républicains tentent des mouvements insurrectionnels à Paris et à Lyon. Un gigantesque procès les condamne aux travaux forcés ou à l’exil. Ensuite le mouvement devient clandestin puis est partagé entre les réformistes et les révolutionnaires.
La période 1830-1835 se déroule sous fond de mécontentement populaire suite à l’absence de condamnation à mort des ministres de Charles X et de la commémoration de l’anniversaire de la mort du duc de Berry (fils de Charles X) qui déclenche une révolte en période de fort chômage ouvrier.
Ce climat insurrectionnel se traduit par un enchaînement rébellion-sanction. Les incidents anticléricaux, dont la destruction de nombreuses croix, déclenchent en 1831 une loi qui interdit les attroupent sur la voie publique et définit les réunions autorisées. C’est l’année également de la révolution des Canuts à Lyon contre le refus des patrons d’appliquer les tarifs négociés des salaires.
En 1832 une épidémie de choléra fait 18 000 morts à Paris et révèle les inégalités sociales, les bourgeois accusant le peuple de diffuser la maladie, ce dernier accusant le Gouvernement d’empoisonner les fontaines.
A Lyon en 1834 un nouvel enchainement se traduit par une insurrection républicaine du 9 au 14 avril. Une tentative du gouvernement de règlementer les professions de crieur public et de marchands ambulants de journaux et d’interdire les associations politiques déclenche un mot d’ordre « répondre à la suspension de la légalité par la suspension de l’ordre public ». S’en suivent des grèves dont les meneurs sont traduits en justice le 5 avril. Une manifestation de la Société des Droits de l’Homme et du Conseil Exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel, visée par la loi contre les associations politiques, est organisée le 9. C’est le départ d’un soulèvement des artisans sur lesquels la troupe tire, puis les rues se couvrent de barricades. C’est le début de la « sanglante semaine ».
Louis Philippe échappe chaque année à un attentat dont le plus grave, celui de la rue Fieschi en 1835, fait 19 morts. S’en suit le vote d’une loi qui prévoit des sanctions sévères contre les délits de presse et font entrer les Républicains dans l’illégalité.
Ce climat traduit l’inquiétude de la bourgeoisie sur l’ordre social éloigné des principes libéraux. La loi Guizot de 1833 en rendant obligatoire l’ouverture et l’entretien d’une école dans chaque commune est une façon de « moraliser » les classes populaires.
Les derniers feux de la monarchie.
Après 1835, le calme semble revenu, laissant le champ libre à un pouvoir de plus en plus personnel de Louis Philippe. La Chambre se répartit désormais en 4 courants principaux, la Gauche dynastique avec Odilon Barrot, Laffitte et le Journal du Siècle, le Centre gauche avec Thiers et le Constitutionnel, le Tiers Parti du « juste milieu » avec Dupin président de la Chambre et le Centre droit avec Guizot, Molé et le Journal des Débats.
La Chambre se cabre bientôt contre ce pouvoir personnel de Louis Philippe contrebalancé par la montée en influence de Thiers, journaliste qu’il nomme ministre. Ce dernier mène alors une politique nationaliste et protectionniste lançant notamment la construction de fortifications autour de Paris, impasse politique qui l’amène à démissionner en 1840.
Le très expérimenté Guizot le remplace, porteur d’une philosophie libérale « Enrichissez-vous par le travail et l’épargne… et vous deviendrez électeurs » et d’une politique non interventionniste.
Le décès accidentel du fils ainé de Louis Philippe duc d’Orléans, provoque un mouvement de sympathie à son égard. Les réformes sont bloquées par les groupes de pression dont celui du sucre qui empêche l’abolition de l’esclavage en 1845. Ce calme relatif ignorait les protestations sociales, jugeant qu’elles n’étaient pas de son ressort et préparant ainsi sans s‘en rendre compte la Révolution de 1848.
Les fabriques de l’opinion, le roi, les chambres, l’esprit public et la rue. 1815-1848
Parcourir cette période sous une autre forme que la succession des évènements historiques a pour but d’examiner comment s’est fabriquée l’opinion au cours de cette période.
Après la Révolution la Royauté n’a plus la légitimité d’avant, aussi elle cherche à se faire aimer en se mettant en scène commune une famille ordinaire touchée par le malheur par exemple lors de l’assassinat du duc de Berry ou la mort accidentelle du duc d’Orléans, ce qui inspire le qualificatif de monarchie sentimentale.
Le sacre de Charles X est une tentative avortée de renouer avec le contrat divin. Charles X puis Louis Philippe découvrent l’intérêt des voyages officiels en France et là l’étranger qui permettent de créer un « vrai » contact avec la population.
C’est aussi au cours de cette période que la démocratie se construit au Parlement, non seulement en séance mais aussi dans les multiples commissions ou évènements où se fabrique l’opinion et les contre-pouvoirs.
Établie par la Charte, la Chambre des pairs se définit comme une aristocratie nationale et constitutionnelle, constituée de l’élite foncière, nommée par la Roi, qui n’est pas sans rappeler la Cour de l’Ancien Régime. L’hérédité a été supprimée en 1830 et la composition structurée en 5 catégories, les 3 premières de ceux (pas encore de femmes) qui ont occupé ou occupent les plus hautes fonctions électives, administratives ou judiciaires, ceux qui sont reconnus par leurs capacités intellectuelles et enfin ceux qui paient au moins 3 000 F d’impôts directs. Cette institution était sans cesse critiquée voire brocardée à juste titre car son rôle était limité à un droit de remontrance. Elle sera supprimée en 1848.
Les députés ne sont guère mieux lotis, élus cependant mais apprentis en politique, hésitant entre le local et le national, position sans doute renforcé par la lenteur des transports. Les débats sont marqués par la montée en puissance des éloquents tels le général Foy, influents par leur capacité à convaincre. La pétition, droit constitutionnel institué par la Révolution, est une source d’inspiration majeure des projets de lois et des débats parlementaires. Enfin, l’adresse au roi, consécutive au discours du trône introductif à la session parlementaire, débattue et faisant l’objet d’un vote, devient progressivement un canal de critique voire de remontrance.
De nombreux hommes politiques qui sont aussi des hommes de lettres ont recours à la publication de livres pour faire connaître leurs analyses. Parmi eux Chateaubriand se distingue avec Réflexions politiques sur quelques écrits du jour et sur les intérêts de tous les français publié en 1814 où il s’étonne de la dissolution de la Chambre pourtant favorable au roi et en 1815 La monarchie selon la Charte base constitutionnelle où le roi règne et ne gouverne pas.
En 1820, Guizot prend la tête de l’opposition doctrinaire et publie Des moyens de gouvernement et du ministère actuel dans lequel il rattache la Charte à la Révolution et fustige les Ultras comme contre-révolutionnaires. L’année suivante il publie Des moyens de gouvernement et d’opposition où il voit l’émergence d’une force politique de gouvernement éloignée des extrêmes.
Les salons, lieux de sociabilité mondaine et de réflexion, affichant des préférences politiques, apparaissent comme précurseurs des partis mais encore liés aux personnes invitantes. C’est là que se peaufinent les idées et les positions ainsi que les alliances.
Compte tenu de la faiblesse relative de la base électorale, le problème de la collusion entre les élus et l’Administration a été posé à cette époque, cette dernière agissant couramment pour écarter les électeurs qui ne lui étaient pas favorables.
A partir de la loi du 22 juin 1833 le corps électoral composé des électeurs de la Chambre des députés et des citoyens portés sur la liste du jury est chargé de nommer les membres des conseils généraux et des conseils d’arrondissement jusque-là nommés par le pouvoir. S’agissant de l’administration communale, la loi de 1831 attribue à 1/10ème de la population le droit électoral.
La fête offerte à un individu et non pas à la majesté royale sous forme de banquet devient à partir de la Restauration une nouvelle forme de sociabilité, de prise de parole et de ralliement politique ou au contraire l’occasion de pétitionner.
Les vagues successives de répression et de censure ont pour effet la création de sociétés secrètes ayant des caractères communs : l’action illégale, l’affiliation d’un nombre restreint de membres, une hiérarchisation, un cloisonnement et des signes d’appartenance tels le serment. La plus célèbre, la Charbonnerie prends corps en 1821, sera mise en sommeil suite à l’exécution de 4 sergents en 1822 mais elle a été l’école des sociétés qui suivront durant les années 30.
La presse est le moyen privilégié d’expression de la première moitié du 19ème siècle, expression de la part d’hommes de lettre mais aussi de toutes les catégories sociales. Sa diffusion est de plus en plus large auprès des lecteurs mais aussi des lieux de lecture publique. La presse politique est structurée autour des grands courants, pour les Ultras La Gazette de France, La Quotidienne et Le Drapeau Blanc, pour les Libéraux Le Constitutionnel, Le Journal des Débats, Le Courrier français et pour l’opposition royaliste La Quotidienne et l’Aristarque.
Les journaux littéraires ne sont pas absents du débat politique tel Le Globe fondé en 1824 par Théodore Dubois et Pierre Leroux, un des futurs théoriciens du socialisme. Certains pour échapper à la censure se camouflent sous des titres tels que Journaux des spectacles, des arts, des lettres.
Une innovation initiée en 1836 à l’occasion du lancement de 2 nouveaux quotidiens, La Presse d’Emile Girardin et Le Siècle d’Armand Dutacq contribuera au développement de ces journaux : l’abonnement passe de 80 à 40 francs et la publicité apparait pour financer le journal. Le journaliste devient autant un homme d’idées qu’un homme de lettres.
En 1844 L’indépendant d’Angoulême lance l’idée d’un congrès de presse qui devient annuel à partir de 1846 et porte des idées réformistes modérés et de gauche. La presse légitimiste fait de même avec 6 organes parisiens et 27 de province et demande le droit de vote pour tout contribuable.
Ces prises de position et son influence exposent la presse qui subit à son tour des mises en cause pour délits de la part du Gouvernement selon une loi de 1835.
Dans le genre littéraire, le pamphlet en vers est utilisé pour attaquer des ministres. Villèle a droit à la Villéliade, d’autres une Corbiéréide ou une Pyronnéide.
La caricature est un procédé qui se répand sous la Restauration et surtout sous la monarchie de Juillet. Elle vise le roi et la famille royale. Elles sont publiées par Le journal La Caricature (1830-1835), obligé en 1832 de lancer une souscription pour payer ses amendes, La Silhouette (1929-1930), Le Charivari (à partir de 1832). Honoré Daumier, artisan de La Caricature, fera évoluer ses cibles vers le spéculateur ou le député corrompu.
Entre 1825 et 1829 un mouvement d’opinion dénonce les missions, c’est à dire les campagnes religieuses qui mobilisent des prêtres pendant plusieurs semaines et se concluent par l’édification d‘une croix de mission en présence de l’administration et de l’armée. Un mouvement anticlérical s’élève contre ces pratiques, s’exprime par des profanations de ces croix et à l’occasion des nombreuses représentations de Tartuffe de Molière réclamées à Paris et en Province qui sont l’occasion de huer les personnages caricaturés par la pièce.
La politique populaire, née du peuple, s’exprime dans la rue par des actions protestataires, cris, violences verbales barricades, voire attentats et assassinat. La chanson est aussi un moyen simple et efficace de diffuser des idées ou des critiques. Le plus célèbre des chansonniers, Béranger, stigmatise par exemple de sacre de Charles X.
Tout comme le « cri séditieux », la rumeur est un vecteur de l’hostilité à l’égard de la dynastie régnante tel le retour de l’Empereur ou la découverte de faux Dauphins, rumeur dont l’origine est mal connue. Cependant les rumeurs sur le retour de la dîme et des droits féodaux sont souvent l’œuvre des libéraux.
La Garde nationale (GN) renait de ses cendres spontanément en 1830 puis officiellement en 1831. Placée sous l’autorité des maires, des préfets et du ministère de l’intérieur, elle est composée d’hommes assez aisés pour se payer l’uniforme mais pas suffisamment pour être électeurs. Ils sont les gardiens de l‘ordre dans les grandes villes et dans la campagne au service de la Charte et du pouvoir, une force de l’ordre peu coûteuse mais lui donnant une légitimité populaire. Après 1840 les Républicains veulent politiser les élections des officiers de la GN, ce qui aboutira à créer au sein de la Garde nationale des opposant au régime, manifestant leur défiance lors des revues et fêtes officielle.
L’enterrement de morts symboliques est une occasion de manifestations de rues. Celui du général Lamarque en 1832, mort du choléra, célèbre opposant à Louis Philippe mobilise 3000 insurgés et se traduit pas 200 barricades 150 morts et 500 blessés.
Les barricades, héritières de la stratégie de siège, fortifications sommaires à l’intérieur même des villes, peu employées lors de la période révolutionnaire, ressurgissent à partir de 1814 comme instruments d’insurrection.
Ces modes d’expression sont devenus en réalité une nouvelle force politique. Ils traduisent le fait que la monarchie constitutionnelle ne parvient pas à s’implanter. Cette élite de la richesse, excluant la petite et moyenne bourgeoisie, conserve la nostalgie de la monarchie qui essayait de trouver un équilibre entre libéralisme et ordre. Or l’évolution du régime s’attache de plus en plus à l’ordre et de moins en moins au libéralisme.
CHAPITRE III La France des champs et l’industrialisation
Durant la Restauration, la relative stabilité politique permet l’émergence de changements économiques qualifiés de « révolution industrielle » dans une France encore largement rurale.
Qui sont les Français ?
La période 1815-1848 est marquée par une forte croissance démographique, malgré les 1,3 millions de morts des périodes révolutionnaire et de l’Empire. La fécondité reste élevée, près de 4,5 enfants par femme en 1815, l’espérance de vie des femmes est passée de 32 ans en 1790 à 37,5 ans en 1815, du fait de l’amélioration des conditions d’hygiène. La population française, la plus élevée d’Europe à l’exception de la Russie, passe de 32,6 millions en 1831 à 35,4 en 1846.
La population est jeune avec, en 1821, 41% de moins de 20 ans et 6% de plus de 65 ans et rurale à 75,6 % en 1846.
Entre 1789 et 1801 l’Ouest a perdu 600 000 habitants. Paris reste de loin la grande ville avec 750 000 habitants à cette période, Lyon 150 000 et Marseille 100 000. Marseille deviendra la 2ème ville de France en 1846 avec 183 000 habitants grâce à la conquête algérienne et la population de Paris atteindra 1 054 000 habitants.
Grâce au couple mines/industrie, certaines villes connaîtront une croissance spectaculaire dans le Nord, la Loire et la Moselle.
Le village : cadre de vie de la majorité des Français.
Malgré l’industrialisation naissante, la France reste rurale et l’agriculture la richesse du pays. On estime à 75% la part de l’agriculture dans la croissance globale, chiffre très supérieur à sa part dans le PIB.
Malgré les réquisitions de l’armée d’occupation en 1816-1817 et les mauvaises récoltes dont l’effet se fait sentir régulièrement, la production augmente en moyenne de 1% par an. Elle doit répondre à une population croissante et les prix restent élevés. L’augmentation de la production est liée à plusieurs facteurs, l’extension de la propriété individuelle suite à la Révolution, le défrichage et le recul de la jachère, l’amélioration des techniques étant le fait des grands propriétaires pour lesquels jusqu’en 1848 la terre procurait prestige et assise sociale voire citoyenne.
A cette époque le village est un espace économique et social où il n’y a guère de coupure entre travail et vie personnelle ou entre la famille et le couple. Les marchés et foires sont des lieux d’échange très actifs où l’usage du patois voire des mesures anciennes restent très courants.
Les évolutions seront accélérées par Guizot qui en 1833 impose à chaque commune d’entretenir une école, bien que sa fréquentation ne soit pas obligatoire. L’alphabétisation progresse cependant : en 1848 le taux d’illettrés parmi les conscrits est de 33% contre 47% 20 ans plus tôt.
Les migrations souvent temporaires ou saisonnières sont de plus en plus fréquentes vers Paris et les grandes villes. De 1801 à 1831, environ 325 000 personnes émigrent, provenant de 46 départements en trop plein démographique. Selon Martin Nadaud, les migrants creusois sont 23 000 à Paris en 1825 et 34 000 en 1848.
La communauté villageoise est encore fortement encadrée et soumise au châtelain, au régisseur du grand domaine, au curé, au médecin, au notaire qui règle les héritages et les ventes de terres, au maire, nommé par le préfet après 1831. Pour autant cette soumission apparente est troublée par des rébellions voire des révoltes face aux excès de ces personnes ou aussi de lois estimées injustes. George Sand à propos des émeutes du Buzançais (Indre) souligne le caractère légitime et juste de ces révoltes de la part de malheureux face à des notables égoïstes abusant de leur pouvoir.
Modernisation douce ou industrialisation sauvage ?
Si la révolution industrielle est habituellement définie par 3 mutations, l’utilisation des machines, le recours à des combinaisons productives capitalistiques et la concentration des travailleurs dans les usines, le point de vue de l’historien considère aussi l’urbanisation qui fait naitre de nouveaux besoins face à l’autosuffisance rurale, l’augmentation du nombre de salariés et l’émergence d’une classe moyenne consommatrice notamment.
Cette modernisation dont l’usine ou « fabrique » à l’époque est le symbole n’est pas sans susciter des mouvements de protestation sans aller aussi loin que le mouvement luddite en Angleterre où les travailleurs se soulèvent pas milliers contre les machines.
Difficultés et faiblesse des échanges
En ce début de siècle le transport reste lent. Le roulage pour le transport de marchandises s’effectue une vitesse moyenne de 4 Km/h, les diligences pouvant atteindre 6 Km/h. La voie fluviale reste la plus rapide et praticable sur les grands fleuves, la Seine, le Rhône, l’Oise, la Saône… Ce mode de transport incite à la construction entre 1820 et 1830 de canaux tels que celui de Bourgogne, du Nivernais, de Nantes à Brest, du Rhône au Rhin, de la Marne au Rhin.
L’information circule encore très mal avec seulement 2 000 bureaux de poste pour 37 000 communes. Le télégraphe Chappe ne relie que 29 grandes villes à Paris. Ce relatif isolement rend plus difficile l’ajustement de l’offre, de la demande et des prix en cas de disette locale par exemple.
Le protectionnisme commercial est encore la règle d’autant que les grands propriétaires et fabricants sont présents à la Chambre. Le libre-échange a ses défenseurs tels les armateurs et négociants de ports, les soyeux lyonnais soucieux d’exporter leurs produits et aussi des économistes libéraux comme Jean-Baptiste Say. Le pacte colonial privilégie les échanges avec les colonies tout en protégeant la production française, le sucre pas exemple.
A partir des années 1830 le commerce extérieur connait un fort dynamisme avec les produits manufacturés et surtout les produits d’origine agricole, le vin, la soie et la laine brute.
L’industrialisation est nette pour les activités demandant des infrastructures importantes telles la sidérurgie et avec des retours vers des structures plus petites comme la soierie lyonnaise qui sous-traite auprès des ateliers de campagne pour échapper aux revendications des canuts.
Les évolutions techniques importantes concernent le domaine majeur du textile par la mécanisation de la filature, la modernisation de la sidérurgie et l’amélioration des transports.
Jusqu’à la moitié du 19ème siècle la force motrice principale des ateliers de production, moulins, forges et filatures, reste hydraulique, les machines à vapeur étant utilisées parfois pendant les périodes de basses eaux. L’énergie nécessaire à la sidérurgie reste à base de charbon de bois, les méthodes anglaises à base de charbon de terre arrivent lentement dans les grosses unités au Creusot ou Montataire (Oise), n’étant pas encore suffisamment perfectionnées pour obtenir de la fonte et de l’acier de bonne qualité.
L’éveil industriel est cependant réel avec 625 machines à vapeur en 1830 contre 150 en 1815, 3,6 millions de tonnes de houille en 1846 contre 1,1 en 1815.
Le monde industrieux
Dans les années 1840, la France compte 4,4 millions d’ouvriers dont 60% dans le textile et plus d’1/4 dans les manufactures surtout à Paris, la région de Lyon, le Nord, la Picardie et le Haut-Rhin. Les femmes et les enfants dès 6-7 ans vendent leur force de travail à bas prix pour des tâches répétitives et dans des conditions pénibles voire dangereuses.
Le livret ouvrier mis en place par le Consulat en 1803, à la demande des corporations et de la police, lui confère certes un statut mais permet aussi un contrôle des allées et venues par les maîtres et aussi le maire à qui les destinations doivent être déclarées, tout en rappelant l’interdiction des coalitions ouvrières.
La nécessité de fidéliser les ouvriers incite les patrons à fournir des services qualifiables de paternalisme dans 4 domaines : le logement, l’instruction et l’éducation, l’assistance et la formation morale.
La condition ouvrière était proche de la misère. Le logement était souvent cher et déplorable et les ¾ du budget étaient consacrés à la nourriture. La mobilité était fréquente pour trouver du travail ou améliorer sa qualification. Une élite ouvrière domine dans le luxe à Paris et chez les ouvriers typographes.
L’organisation de la nouvelle société
Le 19ème siècle est marqué par l’amorce du mouvement d’exode des campagnes, le Massif Central, la plaine alsacienne, le bocage normand, vers les villes de plus de 2 000 habitants dont la population représente 24,4% de la population totale en 1846. Parmi elles, Paris domine la société française sur les plans intellectuel, économique et politique avec ses 750 000 habitants.
Trois catégories de pouvoirs dominent la société. La noblesse légitimiste déserte souvent les charges officielles et les fonctions politiques et administratives pour se replier sur ses terres et garder une influence locale. La bourgeoisie ne déserte pas pour autant la campagne où elle détient propriétés et résidences, mais monte en puissance sur les nouveaux lieux de pouvoir économique, la banque, le commerce et l’industrie. Enfin la catégorie détenant des capacités par leur diplôme et leur expertise, les médecins, pharmaciens, avocats, avoués, magistrats, notaires, professeurs et ingénieurs d’État.
Deux autres catégories se rattachent à la bourgeoise et montent en puissance, d’une part les rentiers avec la rente foncière des investisseurs immobiliers en ville et la rente financière des emprunts d’État et des actions des entreprises, tous avides de capitaux pour se développer, et d’autre part les fonctionnaires d’une Administration héritée de l’Empire, mêlant fonctions politiques et fonctions administratives, les conseillers généraux et les maires étant nommés par le Préfet par exemple et certains hauts fonctionnaires cumulant leurs fonctions avec celles de député.
Le commerce est par excellence le moyen d’ascension sociale : le nombre de patentés passe de 847 000 en 1817 à 1 444 000 en 1847.
A l’autre bout de l’échelle sociale, la misère et la pauvreté touchent près de 1/3 de la population selon Jean-Baptiste Marbeau, juriste et philanthrope, inventeur des crèches, auteur en 1847 Du paupérisme en France et des moyens d’y remédier. Il compte 250 000 mendiants, 1,8 millions d’indigents, 3 millions d’inscrits au bureau de bienfaisance et 6 millions de Français qui ont besoin d’être secourus temporairement.
CHAPITRE IV Le temps des possibles : réformistes, utopistes, novateurs et féministes.
Les bouleversements sociaux qui font suite à la Révolution et à l’industrialisation confrontent le libéralisme politique et le libéralisme économique.
Le libéralisme politique se fonde sur quelques principes : refus de l’absolutisme, limitation de l’État, reconnaissance d’une autonomie de la société par rapport à l’État, principe de souveraineté de la nation exercée par ses représentants, valorisation de l’individu et de ses libertés et neutralité de l’État par rapport à la religion, tolérance et laïcité.
Le libéralisme économique repose sur la liberté d’entreprendre et d’acquérir. La « pétition des fabricants de chandelles » du propagandiste Frédéric Bastiat en 1845 demande à être protégé de « la compétition ruineuse d’un rival étranger », à savoir le soleil par la fermeture des fenêtres et lucarnes et ainsi développer l’économie toute entière (bougies, éteignoirs, élevage de bœufs et moutons pour le suif, culture des oléagineux pour l’huile, pêche à la baleine etc.) est une caricature de ses travers.
Dans un premier temps, la doctrine libérale conserve son pouvoir d’émancipation basé sur les principes révolutionnaires en libérant les énergies et les initiatives individuelles, favorisant ainsi l’entreprise, le commerce international et la logique de profit.
Dans un second temps cette logique est plus conservatrice, justifiant, au nom d’un ordre nécessaire, de la défense de la propriété et de la dynamique d’entreprise, la domination des puissants et la répression ouvrière.
L’esprit de réforme est surtout attaché aux années 1830. Si certaines lois comme celles prônant le retour de la censure témoignent d’un esprit de réaction, la dynamique réformatrice domine avec le recrutement militaire au tirage au sort en 1818, la statistique judiciaire en 1827, la nécessité de proportionner la répression à la faute ou au délit, l’introduction des circonstances atténuantes en 1832. La misère sociale apparait comme un danger pour l’ordre public.
S’opposer en proposant, un nouveau modèle de société
Parmi ces opposants, 2 familles de pensée se distinguent : les socialistes et les utopistes. Ces appellations ont été attribuées à posteriori et la frontière entre les deux peut être poreuse comme entre d’autres sensibilités d’ailleurs.
Selon Michèle Riot-Sarcey « L’utopie nait de l’écart entre ce qui est pensé nécessaire à tous… et ce qui est jugé utile au bon fonctionnement de la société ».
Vers 1832, la paternité du terme « socialisme » se dispute entre Saint-Simon qui l’évoque dans sa correspondance, Pierre Leroux qui prétend en être l’auteur et Louis Reybaud le propagateur.
Saint-Simon (1761-1825), enrichi après La Révolution et puis ruiné sous l’Empire, est d’abord un thuriféraire libéral, misant sur l’industrie et la science, position se résumant avec sa formule « tout par l’industrie, tout pour elle ». Ses postions se radicalisant lui font perdre ses soutiens tels le banquier Lafitte et le drapier Ternaux pour évoluer vers une religion sociale avec la publication, un mois avant sa mort en 1825, de « Le Nouveau Christianisme ».
Charles Fourier (1772-1837) se veut un inventeur fondant sa réflexion sur ses ressources personnelles et ses expériences professionnelles. La théorie des quatre mouvements et des destinées générales (1808) rejette toute idée de gouvernement et développe un ordre sociétaire accessible par le libre essor des attractions passionnées. Ses utopies se retrouvent dans le « phalanstère », habitat harmonieux où la vie de chacun est un parcours, « l’archibras » bras démultiplié et à tout faire dont l’homme sera doté par Dieu dans 400 ans, la « papillonne » théorie des passions périodiques qui ont fait passer Fourier pour un chantre de la révolution sexuelle.
Étienne Cabet (1788-1856) revendique clairement le terme d’utopie avec une communauté dotée de toutes les richesses prenant en charges les besoins de chacun et l’éducation des enfants. La société égalitaire dont il rêve le rapproche du communisme.
La génération suivante des socialistes est une évolution plus concrète et réaliste des idées des utopistes.
Pierre Leroux (1797-1871) veut attribuer à l’État tous les moyens de production et élabore une synthèse entre christianisme et idéaux de progrès et d‘égalité. Il fonde en 1843 à Boussac dans la Creuse une colonie agricole de 80 disciples qui comprend une imprimerie et une exploitation agricole sur la base de Circulus, doctrine socio-économique et écologiste avant la lettre.
Louis Blanc (1811-1882) publie en 1840 L’organisation du travail où il veut inviter les « travailleurs » à s’associer en coopératives et à gérer eux-mêmes les échanges sociaux, l’État étant chargé de mettre en place des « ateliers sociaux » dans les principales branches industrielles.
Père de l’anarchie, Pierre Proudhon (1809-1865), contemporain de Marx, dénonce à la fois les « utopies socialistes » et l’intervention de l’État. La souveraineté est dans l’individu où « l’anarchie est la condition d’existence des sociétés adultes comme la hiérarchie est la condition d’existence des sociétés primitives ». A cela Leroux répond « si vous faites lutter ces libertés les unes contre les autres, sans contrat, sans convention, sans organisation… Vous commencez par la liberté et vous finissez par la tyrannie ».
La révolution de 1830 a connu une dimension anticléricale portée par la bourgeoisie sur les idées des Lumières et de Voltaire et aussi par les catégories populaires désapprouvant le sacre de Charles X sous le sceau de l’Église.
Dès 1828, Félicité de Lamennais dénonce une Église inféodée aux Ultras. Il fonde en 1830 le journal L’Avenir qui portera ses idées, notamment chez les jeunes curés de campagne, de catholicisme libéral selon lequel Dieu délègue au peuple la souveraineté. En 1831, poursuivi par les autorités de l’État et l’Église, il demande l’appui du pape Grégoire XVI qui publiera en 1832 l’encyclique Mirari vos qui condamnera ses idées. Les catholiques libéraux tels l’abbé Lacordaire, devenu prédicteur à Notre Dame de Paris en 1835, poursuivront le combat à l’intérieur de l’Église.
Portée par des laïcs, l’action sociale veut réintroduire la religion auprès du peuple par les œuvres charitables. La Société de Saint-Vincent-de-Paul est fondée en 1833 par des étudiants catholiques dont Frédéric Ozanam est la figure emblématique.
L’abbé Châtel (1795-1857) lance un manifeste religieux en 1831, où il affirme vouloir renouer au christianisme primitif, diffusera entre 1831 et 1837 les valeurs évangéliques de justice et d’amour et de réconciliation de la religion et de la chair. Sa contestation de l’ordre religieux, un temps tolérée, fut bientôt assimilée à de la protestation politique. Les lois sur les attroupements (1831) et sur les associations (1834) toucheront l’Église française qui va péricliter.
Ce retour au Moyen Age mystique sera aussi bien exprimé par Viollet-le-Duc (1814-1879) « Restaurer un édifice ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans l’état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ».
Ces mouvements signent le retour à un catholicisme plus émotionnel. C’est aussi l’époque du curé d’Ars (1786-1859), prêtre pauvre d’origine paysanne, qui déplace les foules avec ses sermons très simples. En 1850, la diligence Lyon-Ars est quotidienne et en 1858 plus de 100 000 personnes font le pèlerinage à Ars. C’est aussi l’époque des apparitions de la Vierge à Catherine Labouré (une religieuse de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul à Paris) en 1830 qui lui demande la frappe de la médaille miraculeuse qui sera vendue à 100 millions d’exemplaires dans le Monde en 10 ans, à 2 bergers à la Salette en 1846, à Lourdes en 1858. Le culte de la Vierge s’étend et le mois de mai devient le mois de Marie en 1840. En 1854, le dogme de l’Immaculée Conception sera proclamé.
Dès 1816 le principe d’association, permettant de sortir de l’individualisme, fait consensus toutes tendances politiques confondues, malgré l’interdiction, par la loi Le Chapelier de 1791 (abolie en 1864), des groupements professionnels, ouvriers et agricoles, et du compagnonnage. Ce principe sera longtemps défendu. Cette émancipation par l’association a son pendant avec la pensée de décentralisation soutenue en 1829 sans succès par Martignac.
Un autre objet de ce mouvement est la société pour l’abolition de l’esclavage fondée en 1834 par de Broglie et Lamartine. Ces thèses défendues notamment en 1835 par la Rochefoucauld rencontrent une forte opposition des colons. En 1845, l’abolition est acquise pour les femmes et les vieillards. D’autres associations sont fondées telles la Société des gens de lettres par Balzac en 1838, la Société centrale des architectes en 1843.
En 1833 le National affirme que les associations et lieux de rencontre ont un rôle de sociabilité élémentaire mais aussi de résistance voire d’alternative radicale et ne sont pas un retour en arrière vers les corporations.
Certains ouvriers défendent un mouvement associatif sous forme de sociétés mutuelles. En 1825, on en recense 181 dans la capitale soit 16 856 membres soit 10 à 15% de la population ouvrière. En province elles se fédèrent en une Société de bienfaisance et de secours mutuel de l’union.
Cette prise de conscience tranche avec « le silence des prolétaires ». Tentés un moment par la violence au début des années 1830 et en 1839, ils considèrent que l’éducation et la propagande peuvent créer les conditions d’un changement social. Ils créent les journaux L’Atelier et La Ruche Populaire, revendiquant ainsi le droit de parler seuls en leur nom.
Au début du siècle « la science de l’homme » établit une hiérarchie de l’espèce au détriment des femmes, condition confirmée par l’infériorité édictée par le Code Civil et parachevé par la Restauration avec l’abolition du divorce en 1816. Seuls les utopistes comme Fourier placent la liberté des femmes au cœur du progrès vers la liberté.
Avec l’aide de Saint-Simon, les femmes conquièrent la possibilité de s’exprimer dans les journaux utopistes puis Désirée Veret fonde en 1832 la Tribune des femmes, premier journal leur étant destiné.
Si la liberté de s’exprimer leur est accordée, il n’est pas question d’égalité. L’éducation n’est pas interdire aux filles par l’ordonnance de 1836, mais la sphère publique leur reste interdite.
Une période contrastée sur le plan intellectuel et artistique
L’Académie Française, créée en 1634 par le cardinal de Richelieu, est jugée comme le « parlement des idées » souvent critiqué pour son immobilisme. Cependant elle est devenue le « temple » de la culture littéraire et historique comme patrimoine commun. Elle domine les Académies spécialisées qui couvrent le corps social.
L’Académie des Sciences morales et politiques, crée en 1795 et refondée en 1834 par Guizot est divisée en 5 sections : philosophie, morale, législation et sciences sociales, économie politique et statistiques, histoire philosophique.
Les arts sont également soutenus par l’État qui organise chaque année le Salon qui accueille 1 200 000 personnes en 1846.
La science appliquée au monde
A cette époque, les savants tissent des liens de plus en plus étroits avec la société civile, l’industrie notamment, érigeant la science en une véritable foi dans le progrès.
Les applications industrielles des découvertes scientifiques se multiplient, que ce soit en mathématiques, en mécanique, en chimie, en physique avec l’électricité par exemple.
En sciences naturelles le débat faire rage entre Georges Cuvier, défenseur de la fixité des espèces et Jean-Baptiste Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire qui prônent l’évolution des espèces sous l’influence du milieu. La médecine voit également les derniers affrontements entre les conceptions anciennes défendues par Broussais et la médecine moderne avec Laënnec inventeur de l’auscultation et du stéthoscope.
Élie de Beaumont et Dufrénoy établissent en 1825 la carte géologique de la France avec pour objectif la localisation des matières premières.
Les transformations économiques et sociales commencent à interroger sur leurs conséquences, ce qu’on appellerait aujourd’hui l’environnement, avec les hygiénistes, les médecins, les économistes et les administrateurs.
Sous la monarchie de juillet, le mouvement scientifique sous la tutelle de François Arago s’est renforcé sur la base de la méthode expérimentale qui révolutionne la recherche scientifique.
L’histoire est profondément bouleversée par Boucher de Perthes avec la découverte de l’homme préhistorique dans les alluvions de la Somme à partir de 1828. Il mettra plus de 30 à faire admettre les évolutions à la fois des espèces, du climat et de l‘homme qui avaient le tort de contrarier le créationnisme catholique.
La science suscite un tel espoir de progrès pour l’humanité avec Auguste Comte qui publie de 1830 à 1842 son cours de philosophie positive (le Positivisme) et Ernest Renan qui publie en 1848 L’avenir de la Science, véritable manifeste de romantisme scientifique et optimiste.
Le grand schisme littéraire : le romantisme
A la fin du 18ème siècle, le romantisme associe la nature aux tourments de l’âme. Inspiré par le romantisme allemand avec Goethe, les auteurs anglais, Walter Scott et Lord Byron, il vante le retour aux origines, y compris la restauration monarchique, ce qui le situe plutôt à droite.
Devenu visible en 1824 il inquiète Auger, directeur de l‘Académie française qui voit là un schisme littéraire. Le romantisme s’oppose au classicisme littéraire et il est aussi au carrefour d’un conflit de générations.
Le romantisme s’oppose, par une génération désenchantée, au classicisme pétri de rigueur et de culte de la raison par le sentiment d’inquiétude, le goût pour le surnaturel, le fantastique et l’introspection. Certains s’abandonnent au rêve et à la mélancolie tels les héros de Stendhal et Balzac pendant que d’autres se réfugient dans le culte de la beauté, de l’art pour l’art et dans le mépris des valeurs bourgeoises dominantes avec en commun le désir de liberté.
Le romantisme s’inscrit également dans la rupture de la Révolution et s’inscrit aussi dans l’histoire immédiate avec Chateaubriand ministre, Hugo pair de France et Lamartine bientôt ministre des affaires étrangères et chef du gouvernement.
En fait c’est la violence de la condamnation officielle qui a fait cause de la liberté pour les romantiques.
La consécration du romantisme
Le romantisme triomphe à partir du règne de Charles X au moment même de son affirmation libérale. En 1824 Hugo signe la Préface de Cromwell dans laquelle il oppose le Génie à la règle.
L’année 1830 marque le triomphe du romantisme : Lamartine entre là l’Académie et Victor Hugo donne la première d’Hernani au Théâtre Français qui tourne le roi en dérision et affirme le droit à la liberté.
Le foisonnement de l’expression artistique
Le romantisme flamboyant des années 1830 touche à la musique, la peinture, l’architecture et la sculpture et cohabite avec le goût bourgeois, caractérisé par Alfred de Musset en 1840 comme éclectique voire disparate sans faire apparaître un style pour le siècle.
Ce goût bourgeois se traduit par la vogue du mélodrame, pièces légères et comiques qui joue sur la peur. C’est l’époque du vaudeville, de l‘opéra-comique et aussi des grands orchestrations comme Wagner ou Berlioz.
En architecture le classicisme reste de rigueur avec les frontons st les colonnes pour les maisons bourgeoises et les façades monotones pour les immeubles de rapport.
3 peintres marquent le début du siècle, encore fidèles au classicisme mais ouvrant des brèches qui préparent les évolutions ultérieures, réalisme, impressionnisme. Géricault (1791-1824), qualifié de « réaliste pathétique » est le défenseur du mouvement en peinture. En 1819 il propose au salon le radeau de la Méduse. Ingres (1780-1867) est lui aussi influencé par les primitifs italiens. Sa valeur suprême en peinture est le travail des lignes et des volumes, en quoi il s’oppose au précédent qui privilégie la couleur et le mouvement et rassure l’Institut qui voit en lui le rempart contre le romantisme. Delacroix (1798-1863), grand rival d’Ingres, est rattrapé par les romantiques grâce à la force de ses couleurs. De méthode classique il aborde cependant des thèmes d’actualité tels que La liberté guidant le peuple. Tout comme Géricault, son œuvre est inspirée d’orientalisme.
C’est l’époque aussi de Courbet qui privilégie les sujets de la vie quotidienne annonçant le réalisme. L’Ecole de Barbizon avec Théodore Rousseau, Jules Dupré et Daubigny s’intéressent aux « portraits » de paysages qui suscitent les moqueries de Flaubert en les jugeant de peintres de plats d’épinards.
Le romantisme s’embourgeoise
Les romantiques rebelles s‘assagissent en accédant aux postes de pouvoir politique tels Lamartine, Vigny et Hugo. Les artistes et écrivains sont reconnus comme « précepteurs de l’humanité » avec un romantisme humanitaire et social.
La littérature se démocratise en feuilletons dans les journaux. Elle est accusée de pervertir les jeunes et surtout les femmes. Balzac se fait l’observateur féroce de son époque et de ses mœurs à travers la Comédie Humaine.
CHAPITRE V La France, l’Europe et le monde.
Suite aux guerres napoléoniennes, les hommes d‘État qui gouvernent l’Europe s’efforcent d’établir une stabilité politique et économique dominée, elle, par la Grande Bretagne devenue la 1ère puissance mondiale maritime.
Si l’Europe des princes est stable il n’en est pas de même de l’Europe des peuples sujette à des poussées évolutionnaires.
La France et le concert Viennois
Suite à l’aventure napoléonienne, la France se trouve partiellement occupée et très affaiblie en Europe. Elle va tenter de retrouver son lustre de jadis par des implantations délibérées en Afrique et plutôt liées au hasard des explorations ailleurs.
La conquête de l’Algérie en 1830 puis l’implantation de comptoirs au Gabon, en Côte d’Ivoire en 1849, la découverte de Tombouctou en 1828, de la Terre Adélie en 1840 conforte la politique africaine avec la recherche de solutions pour l’esclavage et le sucre.
La politique extérieure européenne de la France est confrontée à une double exigence, la nécessité d’affirmer son existence et l’obligation de faire accepter son régime face à l’absolutisme (monarchie absolue) ambiant.
L’équilibre européen repose désormais sur des valeurs partagées, le christianisme, la légitimité monarchique et le libéralisme, le sentiment au fond d’une civilisation commune. Il atténuera les conséquences du traité de Vienne de 1815 qui ampute le territoire de ses marges, impose une occupation jusqu’au paiement de l’indemnité de guerre, une mise sous tutelle par les 4 puissances victorieuses (Royaume Uni, Royaume de Prusse, Royaume d’Autriche et Royaume de Russie) pour 20 ans en fait.
Ce traité instaure cependant une réunion régulière des diplomaties des 4 grandes puissances au service de la paix. Lors du 1er congrès d’Aix la Chapelle en 1818 le tsar impose l’entrée de la France dans la quadruple alliance qui deviendra la quintuple alliance, ceci pour faire contrepoids aux deux autres puissances (Royaume Uni et Royaume de Prusse).
La France pourra désormais jouer un rôle actif dans les crises espagnoles et grecques, mais aussi lors des flambées révolutionnaires en Allemagne, Espagne, Naples et Grèce entre 1819 et 1824.
La crise espagnole de 1820-1823 fournira l’occasion à la France de Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, de retrouver un rôle militaire et pour l’occasion de redorer le blason de la Monarchie restaurée en libérant en 1823 le roi d’Espagne Ferdinand VII emprisonné à Cadix par des officiers libéraux voulant imposer une constitution.
La crise grecque (1821-1829) fournit une nouvelle occasion à la France d’engranger un beau succès aussi bien extérieur qu’intérieur.
Elle débute en 1821 par l’insurrection des Grecs contre la domination ottomane, réprimée violemment par les Trucs soutenus par l’Égypte de Méhemet Ali jusqu’à la prise de Missolonghi, la citadelle des insurgés qui devient un symbole d’un peuple martyr. Les idées de la Révolution française, l’admiration pour la Grèce antique et aussi des intérêts matériels commerciaux et maritimes font naitre un puissant mouvement de soutien au peuple Grec chrétien contre le peuple turc musulman.
Grâce l’aide européenne de la triple entente entre Russes, Anglais et Français, une intervention décisive de ces trois puissances aboutit à l’indépendance de la Grèce en 1829.
La Révolution de 1830 marque le début d’une période agitée dans les pays européens.
L’arrivée agitée de Louis-Philippe au pouvoir suscite paradoxalement des craintes de retour en arrière à l’intérieur et une menace pour les pouvoirs absolutistes à l’extérieur. Cette défiance du Tsar Nicolas 1er et de Metternich (Autriche) est contournée par Louis-Philippe en recherchant l’appui de l’Angleterre et par les mariages de ses enfants avec des souverains étrangers. Cette politique étrangère européenne est contestée de l’intérieur par le mouvement des patriotes, devenu emblème à la mode pour la presse par exemple avec le Patriote de la Côte d’Or, le Patriote Franc-comtois…
Supportant mal le joug russe la Pologne se soulève en novembre 1830 et met en place un gouvernement provisoire dominé par Joseph Chlopicki. Ce dernier compte sur le soutien français, mais le gouvernement de Casimir Perier refuse. Il s’en suit une répression sanglante et l’afflux de réfugiés patriotes polonais en France, nourrissant la propagande républicaine opposée à la Monarchie, « parti de l’étranger », la Russie en fait.
En Italie les Carbonari, ancienne société secrète du Sud de l’Europe, se soulèvent dans le Nord, ce qui déclenche l’intervention des autrichiens. Cette fois-ci la France sort de sa réserve et envoie une escadre à Metternich et Ancône où elle reste jusqu’en 1838. Elle repousse les Autrichiens mais impose la paix à tous prix, sans pour autant soutenir les aspirations italiennes. Pour les Républicains, la paix est un alibi au service de la monarchie.
La rivalité anglo-française
Pour les Anglais, cette rivalité est soumise à des tendances opposées, le statut de puissance victorieuse de 1815 et le soutien aux monarchies parlementaires. Ces tensions sont rythmées pour l’essentiel par des phases de tension et de rapprochement significatives de l’affrontement entre monarchie absolue et libéralisme.
L’Angleterre pousse son influence libérale en Espagne et au Portugal. En 1828 Dom Miguel (Michel 1er) le prétendant absolutiste portugais confisque le pouvoir à Marie II sa jeune nièce (9 ans) et l’épouse pour le lui rendre en 1833 sous la pression des Anglais. En Espagne, Ferdinand VII a désigné sa fille pour lui succéder mais son frère Don Carlos engage une guerre féroce pour obtenir le trône, soutenu en cela par les Anglais qui refusent que la France se mêle du conflit.
La rivalité ente le pacha d’Égypte soutenu par la France et le sultan turc soutenu par l’Angleterre donne l’occasion à leurs glorieux soutiens de se quereller lorsque la Turquie veut récupérer la Syrie en 1839 alors sous domination de l’Égypte. Thiers présidant le Gouvernement tente d’obtenir un accord entre les deux puissances orientales à l’insu des puissances européennes. Il déclenche alors la fureur des Anglais avec le Traité de Londres en 1840 qui « recadre la France » ce qui incite Louis-Philippe à lâcher Thiers et le remplacer par l’anglophile Guizot en 1840.
Malgré la tentative de Guizot en 1843 et 1844 d’établir une Entente cordiale avec l’Angleterre les motifs de querelle restent nombreux sur fond de rivalités coloniales, en Afrique du Nord et aussi du fait de mariages dynastiques espagnols favorables à Louis-Philippe.
Reprise d’une politique coloniale
Lorsque la monarchie est rétablie ne 1830, la France n’a plus beaucoup de colonies, aux Antilles sauf Tobago, Sainte-Lucie et Haïti et quelques comptoirs africains. L’actualité porte surtout sur l’abolition de l’esclavage et de la traite plutôt que sur l’expansion coloniale.
Cependant la concurrence franco-anglaise pose la question de la domination française en dehors de ses frontières.
Une histoire de dette de blé non réglée par la France à des marchands algériens qui eux-mêmes étaient de ce fait incapables de régler leur dette à Hussein Dey, un Turc qui régnait sur Alger, possession de l’empire Ottoman fera surgir un incident. Le coup d’éventail donné par Dey au Consul de France devant son peu d’empressement pour régler cette dette donna un prétexte à Charles X pour envahir Alger.
Après avoir hésité, Louis-Philippe maintien son implantation à Alger et tente de conquérir l’intérieur. Le pillage des biens religieux et la spoliation des terres entrainent des révoltes de tribus arabes, bientôt fédérées par Abd el Kader. Cette lutte de conquête se traduit par des centaines de milliers de morts parmi les populations arabo-berbères. L’occupation est limitée au littoral en 1836.
L’humiliation du Traité de Londres en 1840 ravive l’intérêt pour l’Algérie mais sous une forme de colonisation civilisatrice et vertueuse mais qui débute tout de même par un affrontement entre les 70 000 hommes de Bugeaud et les 70 000 d’Abd el Kader en 1840.
L’Europe à la veille de 1848
1848 le Printemps des Peuples est précédé par une tendance générale à la hausse du pouvoir d’achat et le déclin d’une économie agraro-artisanale au profit d’une économie industrialisée sur fond de mauvaises récoltes en 1845-46 et de la récession de 1847.
Ces facteurs économiques sont relayés par des facteurs politiques, l’affirmation des États perçus pour leurs côtés contraignants par l’impôt qui continue à peser sur les plus pauvres et les ruraux, la conscription et tout l’arsenal répressif.
Les premières étincelles n’ont pas été allumées en France, mais en Angleterre avec le mouvement chartiste et la rédaction en 1836 de la Charte du Peuple rédigée par l’Association des Travailleurs Londoniens.
En 1846 le pape Pie IX fraichement élu fait adopter dans ses états des mesures libérales telles que l’amnistie politique, la mise en place d’un chambre consultative et la libération de la presse. Ces réformes sont réclamées dans les autres états, parfois acceptées mais aussi vues comme une contestation de la domination autrichienne. Cette période agitée prend le nom de Quarantotto (désordre) et diffuse en Autriche.
CHAPITRE VI Révolution et République : retrouvailles et ruptures
Comment nait la révolution ? La crise de 1846-1848
La crise de février 1848 est survenue sous le signe de la surprise. Elle apparait sous la forme à la fois d’une crise frumentaire (manque de blé) dont les Français ont perdu l’habitude depuis 15 ans et d’une surproduction industrielle. La crise agricole a pour effet une augmentation des prix qui pèse sur le bâtiment et le textile, avec pour ce secteur un chômage immédiat : à Roubaix 30% des ouvriers sont au chômage en février 1847 et 60% en mai.
A ces difficultés s’ajoute un profond mécontentement politique sur fond de réforme électorale qui cristallise les oppositions contre Guizot universellement contesté. Des critiques s’élèvent contre Louis Philippe vieillissant dont l’héritier n’a que 9 ans. Deux scandales vont achever de discréditer la Monarchie de Juillet. L’ex-ministre des travaux publics, Teste, est convaincu en 1847 d’avoir reçu des pots de vin pour l’attribution d’une concession de mine en Haute-Saône. La même année, le duc de Choiseul-Praslin tue sa femme puis se donne la mort pour échapper à la justice, ce qui entache l’honneur de la Chambre des pairs.
L’élément déclencheur sera l’interdiction d’un banquet républicain à Paris dont la saison avait débuté le 9 juillet 1847. Ils sont devenus un lieu de critique du pouvoir. A celui de Mâcon, le 18 juillet 1847, Lamartine, qui vient de publier par ailleurs une Histoire des Girondins, lance la formule de « la révolution du mépris ». Thiers n’est pas en reste avec « je suis le parti de la Révolution ».
Début 1848, la contestation s’est déplacée à l’Assemblée, lieu central du débat politique, mais reste réformatrice. C’est un banquet républicain dont l’initiative revient à quelques radicaux du 12ème arrondissement qui va être l’élément déclencheur. Bien que les organisateurs aient dissuadé l’accès à la population ouvrière par un droit de participation élevé, la manifestation est interdite par le Gouvernement le 19 février. Le 21 les chefs politiques et les députés annoncent se retirer du mouvement. La Garde Nationale (milice citoyenne) appuie l’armée pour occuper les endroits stratégiques de la Capitale.
Mais le peuple parisien n’admet pas la fermeté du pouvoir ni la reculade de ses représentants : les 23 et 24 février deux journées de barricades provoquent l’effondrement du régime de Louis-Philippe.
Les historiens débattront encore longtemps de la date du point de bascule « révolutionnaire » dont 1848 est un résumé commode. Certains y voient un soubresaut de plus sans véritable avancée démocratique alors que pour d’autres c’est la fin de la monarchie et le début du suffrage universel auquel il faut ajouter l’abolition de l’esclavage et la fin de la guerre révolutionnaire.
Cependant l’alliance entre le peuple citoyen et travailleur et la bourgeoisie ne résiste pas longtemps à la confrontation des attentes des uns et les intérêts des autres. En effet la revendication sociale a fait alliance un temps avec l’idée républicaine mais le peuple redevient vite aux yeux des gouvernants l’incarnation de l’impatience et de la violence, peu apte à accéder à la compréhension politique.
La révolution retrouvée et perdue : février à juin 1848
Déjà le 22 février une unanimité semble se faire jour entre la rue des étudiants et des ouvriers et la bourgeoises, journée indécise où la Garde Nationale semble ne pas prendre parti.
Le 23, le roi demande le départ de Guizot remplacé par le comte Molé ce qui semble ravir la foule mais les barricades demeurent. Une provocation d’un insurgé envers un colonel à cheval déclenche une fusillade boulevard des Capucines. Les victimes sont portées sur une charrette qui sillonne la nuit en un « cortège de la mort et de la vengeance ».
Les insurgés cette fois demandent la fin de la royauté elle-même. Le « parti » républicain prend les choses en mains. Paris se couvre de 1 500 barricades qui entourent même le château des Tuileries. Les dynastiques tentent une manœuvre de la dernière chance : le roi Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils le comte de Paris avec la duchesse d‘Orléans comme régente. Mais la foule envahi la Chambre devant accepter cette régence et la famille royale doit fuir en exil en Angleterre.
Sous la houlette de Lamartine et dans la plus grande confusion, un gouvernement provisoire de 11 membres émerge avec notamment Arago (astronome de réputation internationale), Crémieux (avocat), Dupont de l’Eure (avocat). Ils sont majoritairement avocats ou journalistes, 9 bourgeois et un ouvrier Albert, toutes les nuances de la palette des oppositions des années 1840. C’est une révolution qui a vu tomber la monarchie sans (trop de) déploiement de violence.
Quelle république ?
Le Gouvernement provisoire proclame « la gouvernement provisoire veut la République sauf ratification par le peuple qui sera immédiatement consulté ». Le peuple parisien lui réclame la fin de chômage et de nouveaux rapports économiques. Après avoir reçu une délégation improvisée d’une vingtaine d’ouvriers, le gouvernement provisoire déclare « qu’il s’engage à garantir le travail à tous les citoyens et reconnait que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice de leur travail ».
Cette proclamation du droit au travail conduit à la création des ateliers nationaux inspirés de Louis Blanc où l’État doit se substituer aux entreprises privées. En fait ils sont pilotés par le Ministère des Travaux publics et se consacrent aux travaux de voirie à Paris.
En province l’épisode de février n’a pas le temps de mettre le feu aux poudres d’autant que son issue est rassurante. A Lyon les Voraces, contestataires du poids du pain ou des tarifs des soyeux, se politisent en février avec des revendications d’économie morale et de justice sociale. En Alsace des actions sont menées contre les synagogues et les habitations juives. Ledru-Rollin remet de l’ordre en révoquant les préfets et en les remplaçant par des commissaires de la république (110 pour 85 départements) aux pouvoirs très étendus, notamment de nommer les maires et les adjoints et de révoquer les conseils municipaux.
Le relatif consensus social qui a suivi la Révolution de 1848 tient aussi au ralliement du clergé qui bénit les plantations d’arbres de la Liberté.
Le 20 avril une fête de la Fraternité rassemble à Paris un million de personnes. Il faut y voir un des caractéristiques de la vie politique française : la nécessité d’un consensus unanime.
Depuis des années, des femmes comme Jeanne Deroin, Eugénie Niboyet et Désirée Gay se battent pour se faire entendre. La Révolution leur reconnait le droit au travail dans les ateliers nationaux là où elles voudraient aussi celui de la représentation et aussi le droit à l’éducation publique, à la réciprocité dans le mariage et le droit au divorce. Une tentative de modifier la condition civile des femmes et de rétablir le divorce est rejetée le 27 mai par l’Assemblée sous les rires et les quolibets. Jeanne Deroin tentera même d’être candidate et de combattre les préjugés sur la nature et la différence biologique de la femme.
La révolution de 1848 a des échos immédiats en Europe, des barricades se dressent à en Autriche et en Allemagne provoquant la chute des gouvernements sans effusion de sang mais sans remise en cause des régimes. Lamartine, ministre des affaires étrangères, reste dans la diplomatie rassurante et résiste aux pressions interventionnistes poussant à soutenir les insurrections. Cette agitation suscite çà et là des poussées xénophobes, les ouvriers du Nord vis à vis des ouvriers belges, le renvoi des ouvriers piémontais ou anglais des chantiers de chemin de fer ou la demande de renvoi des contremaitresses anglaises des filatures, agitation peu cohérente avec la fraternité du drapeau républicain comme le rappelle Émile Ollivier, avocat et député républicain des Bouches du Rhône et commissaire du gouvernement du même département et du Var.
Dès le 4 mars 1848, Victor Schoelcher, un journaliste d’origine bourgeoise qui a consacré sa vie à dénoncer les méfaits de l’esclavage fait adopter par le gouvernement le principe de l’abolition de l’esclavage. Il devient alors sous-secrétaire d’État de la marine et des colonies et conduira à la signature du décret d’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848. Cette abolition suscite immédiatement des révoltes en Martinique avec pour effet sa mise en application le 23 mai mais aussi les revendications des planteurs de canne à sucre voulant maintenir la production à bas coût de main d‘œuvre.
Paradoxalement la France accroit son emprise en Algérie malgré la revendication des Caïds d’Alger d’obtenir le même régime que les Antilles puis de l’Ile Bourbon devenant pour l’occasion l’Ile de la Réunion et le Sénégal. La 2ème république étend ainsi son occupation à la Kabylie et à la région de Zaatcha (région de Biskra dans l’Ouest algérien) et proclame l’Algérie territoire français.
Suite à la révolution ce ne sont pas moins de 236 clubs parisiens qui émergent, héritiers des sociétés populaires de la Révolution, par quartier ou par profession, certains admettant des femmes comme le club de l’émancipation des peuples. D’autres sont exclusivement féminins comme le club des femmes créé par Eugénie Niboyet ou le club de l’émancipation des femmes de Jeanne Deroin. De nombreux clubs se créent également en province, à Rouen ou à Toulouse.
La révolution provoque surtout l’essor de la presse avec 300 nouveaux titres en quelques semaines à Paris et autant en Province.
Le gouvernement prend rapidement quelques mesures significatives de la République et acceptables à l’étranger. L’une des premières proclamations de février, le 26, abolit la peine de mort qui n’était plus appliquée depuis 1832, en réaction à la Terreur. Les ministres de la monarchie sont jugés mais avec un non-lieu. Dès le 29 février des mesures destinées à fonder une société plus juste, plus égalitaire et plus fraternelle sont prises telles l’abolition des titres de noblesse, le 2 mars la journée de travail est ramenée à 10h à Paris et 11h en province. Le 8 mars la Garde Nationale est ouverte à tous, le 9 la prison pour dettes est abolie.
Déjà discutée au cours de la monarchie de Juillet (1830-1848) le 8 mars est organisé une école chargée de former les élites administratives sur le modèle de L’École polytechnique.
L’avènement de la république permettra de mettre en application le vœu d’un art social que les républicains ont pensé dans les années 30. La Salon est désormais ouvert à tous avec 5 180 œuvres dont 400 féminines avec en conséquence une médiocrité assez générale. La liberté guidant le peuple de Delacroix (1830) réapparait au musée du Luxembourg
Les mesures économiques d’urgence
La panique engendrée par la révolution entraine une pénurie monétaire, la bourse est fermée le 7 mars. Les déficits de la monarchie ont fait monter la dette à 960 millions de francs. La banque Jacques Laffitte, la plus grosse banque d’escompte de Paris, fait faillite et la banqueroute menace.
Le 15 mars est créé l’impôt des 45 centimes (par franc d’impôt) au titre des 4 contributions directes (foncière, mobilière, portes et fenêtres et patentes) touche surtout la province qui se rebelle notamment dans le ¼ Sud-Ouest. Cette mesure vécue comme une injustice contraire aux principes de la République affaiblit le régime mais évite la banqueroute.
Les élections au suffrage universel
Le 5 mars, le gouvernent annonce « le suffrage universel et direct, masculin et non censitaire ». Cette décision engendre à Paris des manifestations, opposées à la république avec 30 000 personnes le 16 mars, « la manifestation des Bonnets à poil », puis favorables mais en demandant un délai et une éducation préalable le 17 avec 150 000 personnes. Ce mouvement emmené par Auguste Blanqui réitère le 16 avril, mais ce dernier fait l’objet d’une manœuvre de discréditation qui l’affaiblit.
Le 23 avril, jour de Pâques, 9 millions d‘électeurs sont inscrits sur les listes avec un taux de participation de près de 84%. L’organisation est sous le signe de l’apprentissage, c’est un scrutin de liste plurinominal majoritaire à un tour, il n’y a ni bulletins de vote imposés ni enveloppes ni isoloirs. 900 députés sont été élus, 450 sièges aux républicains modérés dont certains sont royalistes, 250 royalistes assumés, 200 républicains avancés.
Ce scrutin, malgré une avancée considérable, est susceptible de critiques du fait de l’absence des femmes et aussi de l’ambiguïté du choix républicain du fait de l’absence de listes monarchiques.
La nouvelle période s’ouvre le 4 mai, jour de la première séance de la chambre des députés, avec en perspective une nouvelle constitution, l’élection du Président de la République et les prochaines élections législatives. La République est officiellement proclamée, le nouveau gouvernement prend le nom ce « Commission exécutive ». On y retrouve ceux du gouvernement provisoire à l’exclusion des membres de l’extrême gauche.
Le 15 mai, l’invasion de la Chambre.
Un mouvement de soutien à la Pologne en voie de constitution par le gouvernement prussien puis stoppée brutalement enflamme Paris avec un cortège de 150 000 personnes impatientes également de voir des réformes. Les manifestants pénètrent dans l’enceinte de la Chambre, la Garde Nationale offrant une faible résistance. Blanqui (un des chefs de file socialistes des Républicains) exige dans un silence complet le soutien de la France à la Pologne. Louis Blanc (opposant socialiste membre du gouvernement provisoire) se fait porter en triomphe à l’intérieur de l’Assemblée. Huber, soupçonné d’être espion à la solde de Louis-Philippe, déclare « Au nom du peuple l’Assemblée Nationale est dissoute ».
Marrast, membre du gouvernement provisoire, maire de Paris et député, organise la reprise en mains de l’Assemblée avec l’aide de la Garde nationale et procède à 400 arrestations. Les chefs du mouvement, Albert et Blanqui sont arrêtée et Louis Blanc s’échappe de justesse. Le 16 mai la Commission du Luxembourg, chargé de faire des propositions pour améliore le sort des travailleurs et animée par Louis Blanc et Albert, est dissoute.
Le brasier de juin
Ce mauvais signe donné au peuple et à la population ouvrière sera conjugué à la réaction à la République pour créer une situation, explosive. Le 4 juin les élections complémentaires ne sont guère favorables à la République et on y voit apparaitre Louis-Napoléon-Bonaparte et Victor Hugo, deux futurs ennemis.
Ce qui cristallise la tension, après la suppression de la Commission du Luxembourg, c’est la question des Ateliers Nationaux qui ne parviennent pas à employer efficacement tout le monde et créent oisiveté et mécontentement et surtout une masse susceptible de se rebeller.
Le 21 juin la Chambre dissout les Ateliers et enjoint les ouvriers de moins de 25 ans à s’enrôler dans l’armée et les plus âgés à partir en province sous peine de ne plus toucher leur solde.
Le 23 les ouvriers montent des barricades avec une efficacité militaire. Le commandant de la Garde nationale, Clément Thomas, bat le rappel des légions de Paris et de banlieue. Le lendemain l’Assemblée vote l’état de siège de la capitale, la démission de la commission exécutive et donne les pleins pouvoirs à Cavaignac chef de l’exécutif. Le 25 il lance toutes ses forces au combat alors que des pourparlers se tiennent au sommet des barricades.
Ensuite c’est une véritable guerre qui se déclare, tournant à l’avantage du pouvoir armé, principalement des Gardes mobiles et ensuite de l’armée et des Gardes nationaux, et se soldant par 4 000 victimes pour 70 000 à 100 000 combattants, de nombreuses ruines et 18 000 arrestations.
Fer de lance de la répression, les Gardes mobiles surnommés « les bouchers de Cavaignac » sont composés de jeunes gens, Parisiens de fraiche date, qualifiés mais sans expérience. Après juin ce corps sera éloigné de la capitale puis supprimé.
Le 6 juillet une cérémonie à tonalité religieuse, organisée par 3 évêques de l’assemblée constituante est organisée place de la Concorde pour célébrer la réconciliation. Cette bonne intention est relayée en demandant la libération des insurgés. La répression va cependant continuer suite à une commission d’enquête et se traduit par la déportation de 440 insurgés dont 400 en Algérie.
Le contexte économique et politique engendre des vagues successives de colonisation « civile » de 12 000 candidats encouragées par Pierre Leroux, socialiste utopique, ami de George Sand et fondateur de la communauté de Boussac dans la Creuse en 1843. La destination est essentiellement de l’Algérie où les « colons » connaîtront de sérieux désenchantements tant le contexte diffère de celui de Paris.
Le retour à l’ordre est dans l’air du temps. La journée de travail repasse à 12h en septembre. La presse est encadrée par un cautionnement de 24 000 francs à Paris et 6 000 en province qui dissuade la plupart. Le journal La Presse est interdit et son directeur Émile Girardin arrêté et tenu au secret pendant 14 jours. Le reflux de la république fraternelle et la lutte ouverte contre le socialisme prennent aussi une forme parodique à travers les créations lyriques et théâtrales.
CHAPITRE VII Une république qui se fait puis se défait
Le moins que l’on puisse dire est que le gouvernement républicain est mal parti. Ses leaders ont été emprisonnés ou se sont exilés et il a perdu le soutien populaire qui était son fondement. Cependant les instituions se mettent en place avec une nouvelle constitution et un régime parlementaire et républicain.
La constitution : l’équilibre des pouvoirs
La nouvelle constitution s’inspire certes de la Révolution française mais aussi de l’expérience américaine que connait très bien Alexis de Tocqueville auteur de la Démocratie en Amérique. « Le droit au travail » devient « la société encourage le travail », évolution significative d’une somme de bienfaisances organisée par l’État, inspirée davantage par le catholicisme social que par la démocratie sociale des années 40.
Autre volet fondamental de la constitution : les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
Armand Marrast (Maire de Paris et Président de l’Assemblée) défend l’unicité du pouvoir législatif avec une seule chambre, expression de la volonté nationale, ce qui condamne la Chambre des pairs. La droite obtient cependant la création du Conseil d’État pour tempérer l’arbitraire possible de l’Assemblée. L’Assemblée est élue pour 3 ans au scrutin majoritaire de liste à 2 tours. Elle se compose de 750 membres, âgés de 25 ans au moins qui n’ont pas le droit d’exercer d’autres fonctions et perçoivent en compensation une indemnité parlementaire. Elle dispose d’une force militaire dont elle fixe elle-même l’importance.
Refroidis par le Directoire et la commission exécutive et sur le modèle américain, l’Assemblée quasi unanime (627 voix contre 130) propose de confier l’exécutif à un Président élu au suffrage universel masculin. Rare opposant, Jules Grévy s’élève contre ce pouvoir plus dangereux pour les libertés que le pouvoir monarchique.
Louis-Napoléon Bonaparte est à la fois le neveu de Napoléon et le petit fils de Joséphine de Beauharnais sa première épouse. Napoléon est donc son oncle par son père et son grand-père par sa mère. Positionné en opposant, il tente un soulèvement à Strasbourg en 1836 puis un autre à Boulogne en 1840, ce qui lui vaut d’être assigné à résidence au château de Ham dans le Sud-Est de la Somme.
Là il écrira 2 livres, en 1842 L’analyse de la question du sucre qui lui attirera la sympathie des betteraviers du Nord, de leurs ouvriers et de l’industrie métropolitaine liée et en 1844 L’extinction du paupérisme où il critique l’urbanisation et le monde industriel et démontre la nécessité d’un changement social. En 1846 il s’évade de Ham pour l’Angleterre. A l’annonce de la révolution de 1848, il débarque à Paris, affichant son attachement à la République. Il est aussitôt renvoyé en Angleterre.
Ses écrits et l’Héritage napoléonien attire progressivement l’attention sur lui, d’autant que la famille Bonaparte apparait plutôt inoffensive. Aux élections législatives complémentaires de juin 1848, LNB est élu à la fois dans la Seine, la Charente-Inférieure, l’Yonne et la Corse. En septembre 1848 il est à nouveau réélu dans les mêmes départements plus la Moselle. Il est l’élu des ouvriers et des campagnes. Il siège effectivement à l’Assemblée à partir du 26 septembre.
LNB est candidat malgré l’amendement de Grévy puis de Thouret qui veut sans succès exclure de la présidence de la République les membres de familles ayant déjà régné en France. Face à lui 4 candidats républicains dont Cavaignac, plus à gauche Raspail, toujours interné à Vincennes suite à la journée révolutionnaire du 15 mai, et Ledru-Rollin candidat de la Montagne.
Le 10 décembre LNB est élu Président de la République avec près de 5,5 millions de voix avec, loin derrière lui, Cavaignac avec près de 1,5 millions. Beaucoup y voient la fin de la République qui a pu inspirer L’enterrement à Ornans de Gustave Courbet présent au Salon en 1850.
Le gouvernement formé alors par Odilon Barrot ne comprend qu’un seul républicain Bixio au commerce. Cette composition porte en germe une situation conflictuelle avec l‘Assemblée constituante (chargée d’établir la constitution) qui éclate le 29 janvier 1849. Changarnier (commandant de la Garde nationale de Paris) place ses troupes autour de l’Assemblée nationale pour faire face à un complot « pas clair » selon Victor Hugo. En tout cas l’Assemblée capitule et accepte sa dissolution avec comme seul préalable le vote de la loi sur le Conseil d’État et la loi électorale.
Le climat répressif s’achève en mars avec le procès des responsables du 15 mai 1848 : Blanqui est condamné à 10 ans de prison, Albert et Barbès à la déportation. Les accusés de l’affaire Bréa (général qui avait tenté le 23 juin 1848 une conciliation) sont exécutés.
L’assemblée ratifie la création du Conseil d’État, mais lui enlève tout regard sur les finances, les effectifs militaires et la ratification des traités. Il est donc vidé de tout pouvoir.
L’Italie au cœur : de la fraternité au fratricide
La révolution de 1848 et la contre révolution de l’été 48 a été vécue en écho dans toute l’Europe. Profitant de l’échec du roi de Piémont-Sardaigne face à l’Autriche, les républicains Mazzini et Garibaldi proclament la République à Rome ce qui a provoqué la fuite du pape.
L’Assemblée donne l’autorisation à la France de tenter une réconciliation entre le pape Pie IX et ses sujets. Le 8 mai LNB, sans consulter ses ministres, envoie au chef de l’expédition le général Oudinot une lettre plaçant la mission clairement aux côtés du pape.
Les élections législatives du 13 mai 1849 marquent la victoire des monarchistes et des démocrates socialistes, les « rouges », dans le Centre et l’Est. A Lyon la liste montagnarde (extrême gauche issue de la Révolution de 1789) obtient 68% des voix dont 81% dans la Croix Rousse quartier des Canuts. C’est un plébiscite pour Ledru-Rollin qui est élu dans 5 départements. Il devient le chef des Montagnards qui comptent 200 députés.
L’assemblée se sépare le 26 mai en interdisant au Gouvernement d’attaquer Rome, mais LNB passe outre et attaque Rome le 3 juin au mépris de la Constitution. Le 11 juin Ledru-Rollin interpelle le Gouvernement sur la violation de la Constitution, motion rejetée par l’Assemblée. Le comité directeur de la Montagne lance un appel au peuple le 13 juin sous forme d’une manifestation pacifique. Elle est peu suivie par les ouvriers qui se méfient de Ledru-Rollin et réprimée par la troupe qui trouve dans l’épidémie de choléra un allié opportun.
La province n’est pas en reste notamment dans les régions républicaines socialistes, avec manifestations dès le 15 mai à Lyon, Grenoble, Valence ou dans l’Allier.
Le Gouvernement a cependant « maté » la rue, mais sa victoire semble fragile. Aussi il va s’attaquer au suffrage universel et à la presse.
La République réduite (juin 1849-décembre 1851)
Le Gouvernement et le parti de l’Ordre s’attaquent aux clubs puis aux associations de secours mutuels censés abriter des sociétés secrètes en les interdisant. La répression s’étend à la presse républicaine qui disparait quasiment. Le droit de réunion est sévèrement contrôlé.
LNB affermit son pouvoir personnel en peaufinant son pouvoir qui ne tient plus seulement selon lui au peuple mais aussi aux « devoirs que son origine lui impose ». Il fait des déplacements en province soutenus par la Société du 10 décembre qui sert de « brigade d’acclamation » incarnée par Daumier (caricaturiste et peintre) dans le personnage de Ratapoil.
La loi Falloux dont les discussions vont durer 9 mois de sa présentation en première lecture le 18 juin 1849 à son adoption le 15 mars 1850 introduit, au nom de la liberté, l’enseignement secondaire dispensé par les ecclésiastiques desquels il n’est exigé qu’une lettre d’obédience de leur évêque pour enseigner. La liberté de l’enseignement primaire a été organisée sous Louis-Philippe par la loi Guizot de 1833.
L’Église a désormais la haute main sur l’enseignement primaire public au travers du conseil départemental comprenant des élus mais aussi des représentants des cultes dont l’évêque. Il s’en suit une véritable épuration des instituteurs convaincus de socialisme dont 4 000 d’entre eux seront révoqués entre 1850 et 1852. La loi prévoit l’ouverture d’écoles de filles dans les communes de plus de 800 habitants donnant un essor considérable aux congrégations religieuses.
Des projets novateurs sont néanmoins mis en œuvre tels la loi sur les logements insalubres, le patronage des jeunes détenus, les bains gratuits et les lavoirs publics, l’apprentissage, les caisses d’épargne, la protection des animaux.
Aux lendemains des élections de 1849 et de la poussée des Montagnards, l’assemblée propose une réforme électorale qui vise à réduire considérablement sa base. La loi votée semble plus modérée, mais exige 3 ans de domicile avec un loyer dans la commune ou le canton pour être inscrit sur les listes électorales. Les exclusions sont nombreuses et notamment les opposants politiques de juin 1848 et de juin 1848, écartant de fait 1/3 des électeurs soit 3 millions, la proportion pouvant être très supérieures dans les arrondissements populaires ou les cités ouvrières.
Au regard du fonctionnement de l’Assemblée, son aile gauche remet en cause le régime représentatif jugé trop encadré par les notables conservateurs et revendiquent une démocratie directe, idées diffusées par la presse fouriériste.
Les bonapartistes, eux, ne veulent pas remettre en cause le suffrage universel mais l’encadrer.
En l’absence d’opposition légale dont les têtes ont été écartées, la résistance qui s’organise est diabolisée par le pouvoir qui traque toutes réunions supposées politiques en les taxant de sociétés secrètes. Cette résistance est de fait poussée à la clandestinité et envisage une organisation et des armes à travers deux mouvements fédérés : la Solidarité républicaine et la Jeune Montagne. Ces nébuleuses serviront le coup d’état en les taxant de complot « rouge ».
LNB doit quitter la présidence en mai 1852, échéance de l’Assemblée législative également. Par révision de la constitution qui nécessite d’être votée par ¾ des suffrages exprimés, les républicains veulent rétablir le suffrage universel, favorables de fait à la réélection de LNB. Cette voie n’a cependant aucune chance d’aboutir.
L’Assemblée se divise sur ce sujet mais aussi sur la capacité de l’Assemblée à mobiliser la force armée sans passer par les autorités militaires, droit instauré par la Constitution mais flou sur les modalités.
Franchir le Rubicon
LNB applique les principes du césarisme : le coup d’état intervient comme une délivrance qui met fin à un climat d’incertitude.
Pour se préparer à cela, LNB écarte Changarnier (militaire, ancien gouverneur d’Algérie et parlementaire opposé à LNB à partir de janvier 1852) et s’entoure d’hommes de main tels le maréchal de Saint-Arnaud, une gloire africaine pour contrebalancer Cavaignac, le duc de Morny dont l’ascendance est liée à Napoléon, Emile de Maupas qui doit son ascension à LBN et le duc de Persigny le plus fidèle et le plus ancien compagnon de LNB. Le groupe cherche une date symbolique : ce sera le 2 décembre 1851 en hommage à Napoléon, son sacre et à la bataille d’Austerlitz.
LNB nomme Morny au ministère de l’Intérieur et le 2 au petit matin, la police de Paris procède aux arrestations d’une soixantaine de personnes dont 16 parlementaires, réputées inviolables selon la Constitution, 70 militants socialistes et ouvriers. Les sièges des journaux d’opposition sont occupés par la troupe.
Morny se rend alors au ministère de l’Intérieur et par le télégraphe annonce à la France entière le coup d’État.
LNB s’érige en victime de l’Assemblée menaçante et un rempart contre les passions désordonnées et subversives. Il se présente comme un héritier de la Révolution, dans la continuité du 1er Empire, qu’il veut stabiliser et pérenniser. Il déclare vouloir maintenir la République mais la réformer avec un pouvoir présidentiel fort, un corps législatif élu au suffrage universel et le retour d’une seconde chambre. Il flatte également l’armée érigée en élite de la nation.
L’Assemblée tente de résister en votant la déchéance du Président décision sans effet faute du soutien de la troupe qui au contraire arrête ses représentants. La Haute cour chargée de l’exécution de la décision de l’Assemblée est dissoute également.
Dans un second temps, les Républicains modérés et les Montagnards encore en liberté tentent de soulever la population parisienne. Des barricades sont érigées le 3 et le 4 décembre et sur l’une d’elles le député Alphonse Baudin se sacrifie en héros sans que pour autant sa mort galvanise la rue.
Le 4 l’armée se déploie et déclenche la fusillade des boulevards qui à elle seule fera 300 morts, coupant ainsi court à l’opposition bourgeoise terrorisée. A minuit tout est terminé et le lendemain les cadavres sont exposés pour l’exemple.
La magistrature a immédiatement soutenu l’Empereur, parce qu’elle s’est jugée ramenée au rang de simple fonctionnaire par la République. Elle a contribué également par ses condamnations à faire passer les révolutionnaires pour des anti-républicains.
L’Assemblée est discréditée par référence au passé dont les évènements de juin 1848 et juin 1849. En fait la légitimité du pouvoir personnel l’emporte sur la légalité.
La province résiste aussi mais plutôt dans les campagnes que dans les villes. Cette résistance recouvre le vote en faveur des Montagnard en 1849. Elle est vite réduire au silence et contrebalancée par les mauvais souvenirs laissés par les mesures fiscales de 1848 qui ont touché précisément les campagnes.
La répression
Le pouvoir accrédite le mythe de la jacquerie paysanne pour imposer dans les campagnes un régime de terreur. On dénombre officiellement près de 27 000 arrestations. Les insurgés sont jugés par des tribunaux d’exception dont plus de la moitié sont astreints à la surveillance à domicile, les autres étant emprisonnés ou déportés en Algérie (21%) ou en Guyane.
La presse fait également les frais de cette répression. Les journaux républicains qui avaient subsisté disparaissent. La presse parisienne est réduite à 11 journaux, la presse de province passe de 60 à 24 titres.
Le plébiscite des 21 et 22 décembre 1851 renoue avec les méthodes de Napoléon où on dénombre 7,5 millions de oui, 640 000 non et 1,5 millions d’abstentions. Ce succès global est cependant moins net à Paris, dans le midi méditerranéen, dans la vallée du Rhône et ne Bourgogne.
Les acquis sociaux de la 2ème république sont réels, le droit au travail, l’abolition du marchandage, la multiplication des associations ouvrières ont jeté le regard sur la condition ouvrière. A contrario, les lois en faveur des droits des femmes n’ont guère eu d’écho.
CHAPITRE VIII L’autorité impériale
On distingue 2 périodes du régime, celle de l’empire autoritaire jusqu’en 1860 et celle de l’empire libéral. La frontière n’est cependant pas aussi nette car le régime est resté largement inspiré par l’empereur malgré une publicité grandissante des débats parlementaires.
Vers le régime impérial
LNB revendique l’héritage de la Révolution par les principes réaffirmés dans la constitution promulguée le 14 janvier 1852. Ce sont la souveraineté de la nation qui peut être consultée par plébiscite et choisir ses députés, elle garantit l’égalité des droits tout en proclamant le respect de la propriété. Par contre pour lui la liberté pose problème. Elle n’est pas un droit mais un résultat lorsque tout aura été construit (la cerise sur le gâteau en quelque sorte).
De janvier à fin mars, date des élections législatives, le Prince-Président gouverne par décrets. Un premier interdit aux Princes d’avoir des biens en France, un second nationalise la fortune laissée par Louis-Philippe avant son accession au trône, ces fonds étant destinés aux sociétés de secours mutuel et aux œuvres sociales. Cette mesure rassure les ouvriers mais provoque une crise politique avec la démission de quelques ministres fidèles, mais tout finira par rentrer dans l’ordre.
Un autre décret favorise le développement des sociétés de secours mutuel tout en les contrôlant.
La pyramide du pouvoir est en place avec à son sommet l’Empereur qui nomme les ministres et à chaque échelon un fonctionnaire est chargé de l’exécutif, Préfet, sous-préfet, et maire assistés d’un conseil consultatif, conseil d’arrondissement, conseil général et conseil municipal.
Le décret du 2 février 1852 précise le régime électoral : le suffrage universel est confirmé. Le corps législatif est cependant fortement réduit à 261 députés contre 750 auparavant, laissant de côté les colonies y compris l’Algérie qui a « mal voté » en 1851. Le problème qui subsiste est l’abstentionnisme, très fort dans les villes ouvrières, 75% à Saint-Étienne pour les élections législatives de février 1852, 77% à Lille, 81% à Vierzon dont les résultats sont cependant un triomphe avec seulement 3 opposants déclarés. Parmi eux Montalembert, élus du Doubs, aura l’aplomb de dénoncer cette apparence de démocratie qu’est l’Assemblée.
Dès 1852, l’impérialisation et en cours. Le 15 août devient aussi la Saint-Napoléon associant habilement pouvoir et religion, la Garde nationale devient un instrument de parade militaire. Le Président, qui se fait appeler Altesse impériale, s’entoure d’une cour qui coûte 12 millions de francs.
Au cours du 2ème semestre 1852 il se rend également en province, Strasbourg, Roanne, Lyon, Marseille, où il reçoit un accueil triomphal malgré un vote en sa faveur moins net, et Bordeaux où il prononce un discours qui donne ses grands orientations : rechercher la paix et construire de vastes infrastructures de communication, ports, canaux, routes…, le réseau ferroviaire ayant été relancé dès janvier et la ligne Paris-Lyon l’inaugurée le 5 novembre.
Le 7 novembre, en forme d’aboutissement, l’Empire est établi par simple modification de la constitution. Un plébiscite de ratification est organisé le 21 novembre. LNB choisit le nom de Napoléon III. Le sacre est envisagé mais Pie IX le souhaite à Rome ce que Napoléon III ne peut pas accepter. Le régime est proclamé le 2 décembre, date triplement célèbre désormais mais qui ne sera jamais célébrée par l’Empire, pour ne pas faire de publicité au caractère tragique de cette date pour les républicains.
Le gouvernement est à discrétion de l’empereur, il n’y a pas de conseil des ministres. Le pouvoir législatif est affaibli par sa division en 3 corps, le Corps législatif, dont on a vu la division par 3 du nombre de députés, le Sénat et le Conseil d’État. C’est ce dernier qui rédige les lois et le Corps législatif qui les vote sans en avoir l’initiative. Les députés doivent prêter serment de fidélité et siègent 3 mois par an. Victor Hugo a résumé ce fonctionnement « il y a dans la boutique où se fabriquent les lois et les budgets, un maitre de maison, le Conseil d’État, et un domestique, le Conseil législatif ». Les tribunes du public ont été fermées pour la plupart et les débats ne sont pas publics.
La hiérarchie par les indemnités est claire : les sénateurs touchent 30 000 F, les conseillers d’État 25 000 et les députés rien.
La désignation des candidats là encore est organisée par le haut, pratique pas complétement nouvelle, mais renforcée sous le Second Empire qui, par l’intermédiaire du Ministère de l’Intérieur et des préfets, désigne les candidats qui ont la confiance du gouvernement, de préférence des hommes nouveaux, sans passé politique et sûrs. Cependant en 1852, 40% des candidats officiels ont déjà exercé un mandat de député, hommes qui traversent les régimes.
Incontestablement les qualités personnelles de l’Empereur, son charisme et son positionnement pragmatique et protecteur ont été des éléments marquants et efficaces de son règne.
Napoléon III a des qualités d’orateur et le sens de la formule, telles « l’Empire c’est la paix » ou « Je ne suis sorti de la légalité que pour entrer dans le droit » montrant ainsi sa capacité à synthétiser sa pensée de manière efficace auprès de publics variés. Il connait bien les pays européens où sa vie d’exilé l’a conduit, l’Italie, l’Allemagne et la Grande Bretagne.
Il se méfie des théories et affiche un pragmatisme par des mesures concrètes, dégrèvement de l’impôt sur le sucre, salubrité des logements ouvriers… Il sait s’entourer de fidèles d’origines variées en phase avec l’évolution de la société et la montée de nouvelles couches sociales. Il montre de grandes facultés d’adaptation en apprenant à connaître la France par de nombreux voyages en province qui sont autant d’occasions de flatter son électorat par sa proximité, des actions charitables et une communication bien orchestrée. Le prestige de l’Empereur est popularisé et colporté par des images, almanachs, poèmes et histoires qui vantent ses qualités et ses exploits.
L’impératrice devient une pièce maîtresse du système avec le mariage impérial le 30 janvier 1853 dont le faste compense le couronnement refusé par le pape. Elle devient l’ordonnatrice des fêtes impériales qui entretiennent le prestige du régime avec une vie de cour pas très éloignée des pratiques de la monarchie.
L’Église a immédiatement pris parti pour l’Empire et ne ménage pas son appui. Toutes les festivités même civiques sont marquées du sceau de la religion. Le baptême du prince le 14 juin 1856 dont le pape Pie IX a accepté d’être le parrain est un moyen de resserrer encore les liens entre le trône et l’autel.
L’adhésion des campagnes a été aussi une caractéristique du régime, soutenue par une réelle prospérité, l’absence de mauvaise récoltes, la modernisation des échanges et la demande urbaine, éléments attribués à l’Empereur, même s’il n’en est pas directement responsable.
L’Empire est à l’écoute des campagnes. En 1851 5 000 villages sont sans école, nombre réduit à 312 en 1866. L’Empereur se fait volontiers agronome et modernisateur, notamment dans les domaines impériaux où il encourage la modernisation avec les engrais et le matériel.
Les « questions ouvrières » ont fait aussi partie des préoccupations de l’Empereur. Il met en application sa brochure, l’Extinction du paupérisme, en se préoccupant avant du tout du bien-être des ouvriers et en soutenant leurs associations en veillant toutefois à leur non politisation.
L’opposition muselée
Après le coup d’État, la plupart des opposants ont pris le chemin de l’exil en Belgique ou en Suisse puis en Angleterre. Le plus célèbre d’entre eux, Victor Hugo s’exile à Bruxelles en décembre 1851 puis s’installe à Jersey et à Guernesey où il écrit un pamphlet pour bombarder « Napoléon le Petit ». D’autres moins chanceux se retrouvent en Algérie ou en Guyane.
Les chefs légitimistes vivent désormais sur leurs terres, Guizot près de Lisieux et de Tocqueville dans le Cotentin. L’opposition n’a guère de lieux ni de capacités à s’exprimer. Le régime fait la chasse aux sociétés dites secrètes, les journaux républicains sont réduits à 3 en province, Le Phare de la Loire à Nantes, la Gironde à Bordeaux et le Progrès à Lyon.
CHAPITRE IX L’Empereur et les Français
Le véritable socle sur lequel repose le régime est la peur du « spectre rouge » qui a jeté dans ses bras la majeure partie des notables.
L’Empire c’est la prospérité
Dans son discours de Bordeaux le 9 octobre 1852, L’Empereur a fixé les principes et objectifs concrets de l’action de l’État dans l’agriculture, l’industrie et le commerce.
La prospérité économique faisait donc partie du projet impérial, mais le régime n’en a cependant pas eu le mérite : les transformations économiques ont débuté dès 1835 et ont relevé essentiellement de l’initiative privée.
Il lui revient quand-même la construction du réseau de chemin de fer en étoile autour de Paris, la révolution du crédit et la création de banques d’affaires et de dépôt sous forme de sociétés par actions et l’adoption d’une nouvelle législation économique qui structure l’ensemble.
Et puis le régime a su rassurer les milieux d’affaires par son existence et sa stabilité. La première exposition universelle à Londres en 1851 avait démontré la supériorité de l’Angleterre mais la seconde qui s’est tenue à Paris en 1855 a prouvé que la France tenait aussi son rang. Elle accueille 4 millions de visiteurs dont la reine Victoria et le prince Albert, 40 ans après Waterloo.
Le rôle de l’État est réel dans la transformation de Paris dont la percée des avenues haussmanniennes est le symbole. Haussmann a été préfet de Paris de 1853 à 1870 et l’ordonnateur de ce changement, voulu par Napoléon III inspiré des transformations de Londres, qui a touché 60% des bâtiments de la ville. Il crée de vastes avenues rectilignes (le culte de l’axe) qui se croisent par endroits d’immenses places, le tout bordé d’immeubles de rapport et d’hôtels particuliers tous sur le modèle de l’architecture rationnelle. Il crée aussi des adductions d’eau, des égouts, des ponts sur la Seine, un square par arrondissement, le parc de Montsouris, les Buttes Chaumont, les parcs de Boulogne et de Vincennes.
Au 1er janvier 1860, Paris est étendu jusqu’à l’enceinte de Thiers (fortifications élevées de 1840 à 1844) par annexion de tout ou partie des communes concernées. A l’intérieur de cette enceinte une zone non constructible de 250m était réservée pour l’usage militaire. Elle a servi également de zone de traitements de déchets de la ville et de bidonvilles. Elle est devenue plus tard le boulevard périphérique.
Ces transformations ont été largement inspirées d’idées développées par les urbanistes de la monarchie de juillet. Les lignes droites ne sont pas seulement stratégiques et esthétiques, elles sont le moyen de relier les gares et d’améliorer la circulation des hommes, de l’air, de l’eau et des marchandises.
En janvier 1860 Napoléon III signe un traité de commerce avec l’Angleterre, droit qu’il s’est arrogé au début de l’Empire. Il avance prudemment, précédé et suivi d’une propagande inspirée des économistes libéraux, Basiat ou Michel Chevalier disciple de Saint-Simon. Il poussera ses idées à partir de 1856 pour aboutir au coup de force de 1860, la lettre ouverte dite « la lettre à Fould », son ministre des finances, un plaidoyer pour le libre échange au grand dam des industriels et députés protectionnistes..
Ce « libre » échange avantage les produits de luxe tels que les articles de Paris et la soierie, mais menace les maitres de forge et les fabricants d’étoffes de laine. Au global le bilan sera plutôt en faveur de la France.
L’empire et la guerre une nouvelle diplomatie française ?
Sur le théâtre européen l’Empire est plutôt bien toléré et rassure par sa stabilité.
Napoléon III, sur les conseils de Michel Chevalier (conseiller économique de N III), s’intéresse au commerce mondial et aux voies de communication.
Sa politique européenne est plutôt de voir se constituer des états fédérés en Italie et en Allemagne, dite politique des nationalités, sans pour autant renoncer à l’esprit du Congrès de Vienne.
La guerre de Crimée fournira à l’Empereur l’occasion de redorer le blason de la France en Europe. La première raison du conflit est la querelle des lieux saints en Palestine entre le clergé orthodoxe et les chrétiens d‘Orient. Napoléon III continue depuis 1849 à se placer aux côtés de la Sainte Église. Avec la Grande Bretagne et la Turquie il signe en mars 1854 le traité d’alliance de Constantinople contre la Russie. L’ultimatum lancé à la Russie étant resté sans réponse, l’alliance déclare la guerre au Tsar en Crimée. Français (commandés par le général Mac Mahon) et Anglais seront victorieux après une année de siège de Sébastopol et 95 000 morts français et 21 900 du côté anglais dont plus des ¾ du choléra.
Cette victoire rétablit l’empire ottoman et la libre circulation sur le Danube. C’est une victoire diplomatique également pour la France et le congrès de la paix qui se tient à Paris en 1856, présidé par un français, Alexandre Walewski (fils naturel de Napoléon 1er et ministre des Affaires étrangères), est une revanche sur le congrès de Vienne.
Au congrès de Paris la question de l’Italie soumise à l’Autriche des Habsbourg en Lombardie (Milan) et en Vénétie (Venise) est soulevée par Cavour, représentant du roi de Piémont Sardaigne. Napoléon, fidèle au principe national, prend position en sa faveur, attitude qui provoque l’invasion le 27 avril 1859 du Piémont par les troupes autrichiennes. Napoléon III entre alors en guerre avec des victoires rapides : Magenta le 4 juin et Solférino le 24.
Il prend l’initiative de l’armistice où l’Autriche cède la Lombardie à la France qui la rétrocède aussitôt au Piémont. En contrepartie la Savoie et le Compté de Nice rejoignent la France après un plébiscite très favorable les 15 et 23 avril 1860.
Pour autant la question de la Vénétie n’est pas réglée et l’unité italienne est toujours en suspens avec la domination du Pape sur ses états. Napoléon III est rendu responsable en France des soulèvements italiens contre le pouvoir pontifical, ce qui fragilise l’adhésion de l’Église de France à la politique impériale et provoque des réactions hostiles du bas clergé.
La grande idée du règne
Dopée par ses victoires en Crimée et en Italie, la France va se lancer dans des aventures extérieures. En 1860 un corps expéditionnaire est envoyé au Liban pour défendre les chrétiens maronites contre les Druzes.
La France poursuit aux côtés des anglais l’aventure en Chine, à Canton en 1857 pour faire respecter les traités antérieurs, puis à Pékin en 1862. En 1862 la France annexe la Basse-Cochinchine par le traité de Saïgon.
Ses visées sont aussi sur l’Amérique dénommée dorénavant Latine et en particulier le Mexique pour lui donner officiellement un ancrage catholique et le protéger des ambitions anglo-américaines, mais aussi parce que ce pays dispose de richesses agricoles et minières en faisant un véritable eldorado.
En proie à des conflits ethniques et de clans familiaux, le Mexique résiste remarquablement aux envahisseurs avec la défaite de Puebla en 1862. Prudents, l’Angleterre et l’Espagne se retirent mais la France insiste puis se retire à partir de 1866, faisant face à une population de plus en plus hostile.
L’Algérie : « un vaste royaume en face de Marseille ? »
Napoléon III conforte l’implantions de la France en Algérie avec la reddition de la Grande Kabylie, l’attribution de 20 000 Ha à la Compagnie genevoise, l’apaisement des conflits entre les militaires et les colons.
Après l’abolition de l’esclavage en 1848 le régime cherche une forme de conquête basée sur le respect de la réalité locale, mais reste le territoire d’aspirations contradictoires : eldorado pionnier à l’image de l’Ouest américain, et lieu de résorption des difficultés intérieures en y envoyant les populations les plus turbulentes.
Les sénatus-consultes de 1863 et 1865 s’inscrivent dans ces ambivalences. Si la première vise à définir le régime foncier de l’Algérie en admettant la propriété musulmane et donc à réfréner l’appétit des colons, la seconde rappelle que ce pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp français.
Si la loi française reconnait aux musulmans la qualité de français, ce n’est qu’une citoyenneté de second rang avec une procédure proche de la naturalisation et surtout avec l’obligation de renoncer à l’islam.
Avec la fin de l’esclavage, la question de la présence en Afrique se pose de manière nouvelle. Une commission spécifique recommande en 1850 le maintien des comptoirs de la Côte d‘Afrique, notamment la colonie de Saint-Louis (Sénégal), véritable porte d’entrée de l’Afrique Soudanienne. La mise en valeur du territoire par la culture d’arachide se fait au détriment des terre des Toucouleurs (provenant d’une dynastie du Nord du Sénégal). Le Sénégal, première colonie en Afrique occidentale, sert de base à des missions vers l’intérieur, prémices d’une colonisation plus vaste.
Bien qu’aboli l’esclavage demeure une pratique parfois contestée mollement par le régime.
CHAPITRE X Les Français et l’Empire
Par l’accroissement des mondes urbains et des centres industriels la réalité sociale de la France change, mais la France reste rurale, même si Paris attire l’attention, et bénéfice par ailleurs d’une stabilité politique.
L’âge d’or des campagnes françaises
C’est parce qu’elles ont soutenu le régime qui leur a apporté le cadre de la prospérité. En effet l’agriculture augmente ses performances plus par l’intensification du capital humain que par la mécanisation où le cheval reste le moyen de traction.
Entre 1852 et 1882, les exploitants deviennent davantage propriétaires, le salaire des salariés agricoles augmente et permet aux journaliers d’accéder à la propriété. Cette évolution en moyenne cache un accroissement des inégalités. En effet si la fortune moyenne déclarée par les défunts entre les périodes 1835-1839 et 1870-1874 a triplé celle des défunts déclarant moins de 2 000 F a baissé.
Le niveau de vie des ruraux s’améliore, mais la perception de la vie à la campagne par les ruraux reste sur une grande misère comme en témoignent les enquêteurs urbains ou les écrivains. La vie locale devient plus intense avec les échanges et les foires et marchés qui se multiplient mais dans un rayon limité comme l’attestent aussi les choix de conjoints.
Les emplois qui se développent en ville ou pour le chemin de fer ou autres chantiers de grands travaux n’entrainent pas un exode rural mais plutôt une double activité qui permet de maintenir la population sur place.
L’État s’engage réellement dans la modernisation des campagnes. La loi du 11 juillet 1868, véritable charte des chemins ruraux, accorde une subvention de 100 millions de F sur 10 ans pour que les campagnes s’équipent. Il n’est plus seulement prescripteur voire « prédateur », mais il protège et il encadre. L’ordre public est maintenu par des gendarmes dont le nombre passe de 1 pour 2 836 habitants en 1830 à 1 pour 1930 en 1855.
C’est à l’examen de l‘ensemble de ces éléments qu’on comprend mieux l’adhésion des campagnes à l’Empire
Vers un monde ouvrier
Bien encore minoritaire par rapport au monde rural, le nombre d’ouvriers passe de 1,3 millions en 1848 à près de 3 en 1870, à nuancer cependant par l’imprécision de la définition de l’ouvrier qui est « celui qu’on surveille ».
La petite industrie ou l‘atelier (moins de 10 ouvriers) occupent toujours une place considérable dans la production industrielle de la ville. A Paris en 1847 elle représente les 4/5èmes de la production industrielle.
Les villes industrielles sont associées à la sidérurgie comme Le Creusot qui passe de 6 300 habitants en 1846 à 25 000 en 1870. Une ligne industrielle commence à se dessiner sur un axe Le Havre-Marseille avec aussi le Bas-Rhin ou Saint-Nazaire qui se développe aux dépends de Nantes.
Le statut d’ouvrier est encore largement nomade, à mi-temps comme les mineurs de Carmaux, provenant du milieu artisan, souvent encore tacherons bien que le marchandage (sous-traitance par des marchandeurs de travaux à la pièce sous forme de salaires à la journée) soit interdit depuis 1848.
Le recours au paternalisme a le vent en poupe notamment parmi les industriels alsaciens créateurs de cités ouvrières pour rendre les ouvriers propriétaires et donc sédentarisés et fidèles à l’entreprise.
Lorsque des ouvriers se rendent à l’exposition universelle de 1862 à Londres ils se rendent compte que les ouvriers anglais ont de meilleurs salaires. Les salaires des ouvriers sont faibles, les enfants sont obligés de travailler pour subvenir aux besoins de la famille. L’âge légal de travail des enfants à partir de 8 ans voté en 1841 ne sera appliqué qu’en 1868 avec la création d’un corps d’inspecteurs du travail des enfants. Les dépenses alimentaires représentent 60% du budget des classes populaires urbaines, ce qui explique aussi leur faible dynamisme de consommation jusqu’à la fin des années 1860.
Les conditions de travail ont tendance à s’aggraver. Norbert Truquin (leader des tisseurs lyonnais) évoquant la fabrique lyonnaise de 1867 dénonce le sort des jeunes filles qui travaillent 17h par jour dans des ateliers de soie malsains. Pour les mineurs, la journée s’allonge même si la pénibilité diminue, notamment par l’aération des galeries. La pratique de l’amende pour malfaçon, absence ou retard n’a pas disparu en 1857 chez les patrons lainiers du Nord.
La question ouvrière se légalise. La parole ouvrière commence à se faire entendre, aux expositions universelles et aux congrès de l’AIT (Association Internationale du Travail créée à Londres en 1864). La modernisation a créé des intermédiaires nouveaux, l’ingénieur et surtout le contremaître chargé de la discipline et bouc émissaire tout trouvé lors des mouvements de contestation ouvrière.
Face au monde ouvrier, l’Empire adopte des mesures ostentatoires telles l’aile impériale de Vincennes pour les vieux ouvriers, la création des grandes maisons collectives comme la Cité Napoléon, aux Batignolles ou à Neuilly.
Ces mesures paternalistes cohabitent avec la laborieuse disparition du livret ouvrier, dont le droit de rétention est supprimé en 1854, par recours de l’Empereur devant le Conseil d’État en 1869. Il est vrai que les ouvriers contournent cette loi depuis longtemps en se procurant des faux ou en utilisant ceux d’ouvriers décédés ou partis sous les drapeaux.
A leur retour de Londres lors de l’Exposition Universelle de 1862, les délégués constituent une commission ouvrière, sorte de parlement ouvrier, qui se réunit dans une école de quartier à la Bastille. L’Empereur s’en inspire en abolissant en 1867 l’article 1783 du Code Civil qui favorise le patron en cas de litige et supprime le livret ouvrier (non appliqué). Cependant la même année il dissout l’AIT qui entre dans la clandestinité.
En fait l’Empereur craint que les ouvriers versent dans les « utopies socialistes » et préfère créer du bien-être social qui les en éloigne plutôt que leur donner des droits.
Les notables impériaux
La société des notables qui prédominait sous la monarchie de juillet n’a pas disparu. La question majeure est celle de la fusion entre les anciennes et les nouvelles élites.
La trajectoire d’ascension sociale avec l’exemple d’un Pouyer-Quertier parvenu au rang d’entrepreneur (notamment la Compagnie française du télégraphe de Paris à New-York) montre encore des traces de l’ancien régime. Sa notoriété passe par des acquisitions foncières, l’élection en tant que député en 1857 et le mariage ruineux de ses filles dans la noblesse terrienne.
Le nouveau patronat garde encore un ancrage local. Pour l’Alsace par exemple le taux d’autochtones passe de 70% au début du 19ème siècle à 86% sous l’Empire. Dans le Nord ¼ des patrons sont maires.
A l’assemblée le débat est vif entre le pouvoir politique et l’opposition parlementaire protectionniste avec certains industriels pourfendeurs du libre-échange.
Le style Second Empire : de la crinoline au Petit Journal
Il convient de nuancer la vie culturelle de l’Empire qui ne se résume pas à la fête impériale ou à la censure de Mme Bovary ou des Fleurs du Mal ni à des artistes adversaires résolus du régime.
La modernisation célébrée, tant technique qu’économique, semble peu en adéquation avec l’image surannée que donne l’Impératrice dans les peintures de Winterhalter (Peintre académique) qui la représente avec des crinolines et des dames de compagnie. La crinoline symbolise à la fois la résurgence du passé et la passion pour la démesure. En effet ces robes atteignent facilement 10 m de circonférence et bénéficient des progrès du secteur textile pour leur donner de la souplesse et de la passementerie aux couleurs vives, un style qualifié de tapissier.
L’Impératrice est aussi la vitrine des maisons de couture et des fabriques textiles. En dehors de la confection il faut noter aussi la modernité de l’architecture avec de nouveaux espaces et l’invention des ascenseurs.
C’est sous Napoléon III que se mettent en place les prémisses d’une culture de masse. Par décret de 1864 l’Empereur a instauré la liberté des théâtres, hors la censure bien entendu. Le régime favorise la construction de nouvelles salles en périphérie. Les courants culturels hésitent entre l’académisme qui se réfère à l’antiquité classique et une jeune génération incarnée notamment par Charles Garnier qui intègre de nouveaux matériaux, la polychromie et le dégagement et les abords de l’Opéra Garnier.
Napoléon III fera cependant preuve d’ouverture en décidant par décret que les toiles rejetées par le jury dont le Déjeuner sur l’Herbe d’Édouard Manet, seront exposées en 1863 au Palais de l’Industrie.
La propriété intellectuelle acquière une dimension inédite à côté de la propriété industrielle, permettant au passage de contrôler les publications subversives. C’est aussi le signe de l’intégration des arts à l’économie.
A l’image de celui du couple impérial, le goût dominant est l’académisme et un certain conformisme. Dans le domaine musical l’orphéon (chorale populaire) se développe comme une émergence de la culture populaire en même temps qu’une consommation culturelle de masse dans cette seconde moitié de siècle.
En 1863 un ancien employé de banque, Moïse Polydore Millaud développe une offre avec une idée simple, attirer un plus vaste public par un tarif moins élevé et sans recours à l’abonnement et lui donner une synthèse de ce qui l’intéresse : les faits divers, les annonces et la vulgarisation scientifique. C’est Le Petit Journal qui se diffusera à près de 260 000 exemplaires en 1865. Cette presse vendue à un prix très bas est diffusée dans de nouveaux lieux, notamment les kiosques de gares, idée reprise par Louis Hachette de l’exposition universelle de Londres en 1851.
Le retour des oppositions
Le Régime a trouvé une méthode efficace pour museler l’opposition c’est le serment dont le refus pour les députés leur interdit de siéger à l’Assemblée. Cependant en 1857 et 1858 5 députés républicains modérés acceptent le serment pour siéger. Cela aura peu d’effet jusqu’à ce que les séances deviennent publiques en 1860 à travers l’un d’eux, Picard, avocat parisien renommé, qui dénonce le système de la candidature officielle et sera le plus virulent adversaire d’Haussmann.
Après la guerre d’Italie en août 1859, Napoléon III amnistie les condamnés politiques et exilés républicains, dont beaucoup étaient rentrés lors des amnisties partielles en 1853 et 1856. Quelques un refusent de rentrer tels Victor Hugo, le colonel Charras et Edgar Quinet. De la Suisse le colonel Charras attaque la légende militaire de Napoléon Ier.
L’opposition reste muselée par la censure, mais elle se fait dans des salons qui échappent à la surveillance policière. Les plus réputés de ces rendez-vous républicains sont ceux de Daniel Stern/Maire d’Agoult et de Juliette Adam.
Le monde étudiant commence à se manifester autour de 1860. Parmi eux Georges Clémenceau fait ses premières armes en politique et participe à ce renouveau sous la tutelle d’anciens comme Auguste Blanqui.
Parmi ces journaux on peut citer Le Travail (1861-1862), La Jeune France (1861), Le Moment d’Isambert et la Libre Pensée d’Emile Eudes (1866).
Les brochures et ouvrages qui attaquent l’Empire se multiplient dont certains brocardent la passion de l’Empereur pour César. De nombreux ouvrages sont publiés sur la Révolution dont celui d’Edgar Quinet, La Révolution Française, qui fait polémique. Il situe l’origine de la succession d’échecs de la Révolution dans la religion : l’absolutisme catholique auquel la France n’a pas su renoncer ni avec la Réforme ni avec la Révolution. Selon lui le véritable échec de la Révolution et de ne pas avoir fondé une religion de la Liberté, thème fédérateur réclamé dans le cadre de la lutte électorale.
L’opposition renoue également avec la pratique de l’attentat dont les auteurs renvoient à 3 italiens Pianori (1855), Tibaldi (1857) et Orsini (1858). Ce dernier sert de prétexte à une loi de sûreté générale qui frappe de peines très sévères tout individu confondu de troubler la paix publique soit à l’intérieur soit à l’étranger et se traduit par plus de 500 arrestations.
A partir de 1860 les opposants politiques, notamment les libéraux, vont étoffer leurs troupes parmi les classes populaires, la classe moyenne bourgeoise industrielle et commerçante et les catholiques. La figure emblématique de cet ensemble est Thiers qui a refusé de se rallier au régime Impérial. Ayant fait le deuil à la fois de la Monarchie et de la République ce mouvement réclame des institutions parlementaires libérales dans tous les domaines et à tous les échelons de la vie politique. Ces idées seront diffusées dans une brochure d’Anatole Prévost-Paradol, Les anciens partis, immédiatement saisie et qui vaudra à son auteur un mois de prison. L’auteur reçu à l’École Normale Supérieure, avait refusé en 1851 de prêter le serment imposé à tous les fonctionnaires.
La place de l’Église et de la religion
Le foisonnement d’idées qui caractérise le débit des années 1860 est largement placé sous le signe du positivisme qu’on oppose à l‘idéalisme romantique de 1848. Selon les jeunes républicains, le positivisme se caractérise par 3 idées : la prise en compte de l’opinion pour faire des réformes, le recours à la méthode expérimentale et enfin l’aboutissement de la démarche : la République.
Ce courant fortement rationaliste conduit à séparer le spirituel et le temporel, en rupture avec le catholicisme social. Ainsi les républicains des années 60 sont résolument anticléricaux, cela en réaction aussi au ralliement massif des catholiques à l’Empire et à l’agressivité des ultramontains, les partisans du pape comme Louis Veuillot.
En 1867 suite aux menées de Garibaldi, l‘Empereur se porte au secours de Rome lors d’une bataille décisive à proximité de Mentana. Le général de Failly remporte une victoire éclatante grâce notamment aux chassepots, nouveaux fusils à culasse. Cet épisode renforce les liens entre l’Église et l’Empire.
La franc-maçonnerie sert alors de substitut à l’opposition républicaine. Elle devient un lieu de la pensée libre, accueille une nouvelle génération dans les loges des recrues positivistes et libres penseurs. Dès lors Napoléon va tenter de contrôler ce foyer de contestation en réduisant le nombre de loges de 222 à 102 en province durant la première décennie de l’Empire.
Malgré cela la maçonnerie reste un lieu d’émergence d’idées nouvelles. Elle apparait dans les mouvements pacifistes dont les congrès de Berne en 1865, Lausanne en 1867 et Genève en 1868 sont de grandes manifestions pacifistes mais aussi anti impériales. Les maçons jouent aussi un rôle important dans le réveil du féminisme. En 1866 est créé un comité pour la réforme du mariage avec Charles Lemonnier (membre fondateur de la Ligue pour la paix et la Liberté en 1867). En 1862 sa femme avait ouvert une école pour l’éducation professionnelle des jeunes filles. Léon Richer invite Maria Desraimes à tenir des conférences au siège de l‘obédience sur l’émancipation des femmes entre 1866 et 1869.
Un timide parlementarisme
A partir des années 60, l’Empereur s’essaie au parlementarisme. Par décret du 24 novembre 1860 il institue à nouveau « l’adresse », c’est à dire la discussion de la politique générale du gouvernement en début de session des Assemblées. Il s’en suit un débat parlementaire auquel répondent des ministres sans portefeuille et uniquement pour justifier la politique présentée. Il rend également publique la sténographie intégrale des débats du Corps Législatif et du Sénat.
En 1861, conseillé par son ministre des finances le banquier Fould, le gouvernement renonce au décret impérial permettant d’ouvrir des crédits extraordinaires sans associer le parlement, un contrôle budgétaire qui a toujours été réclamé par l’opposition libérale.
Ces politiques exacerbent les oppositions où les libéraux et les républicains se regroupent en une union libérale. Par ailleurs une frange des Républicains se regroupe dans une opposition qui veut composer avec le régime, le Tiers-parti auquel on associe Thiers pour son goût de l’autorité mais qui reste, lui, un opposant au régime.
La décentralisation dont le mot a été inventé en 1829 a fait partie longtemps de l’arsenal contestataire. Napoléon III en 1858 se déclare à la fois opposé à la décentralisation dans un discours à Limoges et favorable à remédier aux excès de la centralisation lors de l’ouverture de la session parlementaire.
Un noble nancéien, Antoine Metz de Noblat, rédige un projet de décentralisation qui réclame l’élection des maires par le conseil municipal et le transfert des pouvoirs du Préfet aux conseils généraux. Ce texte obtiendra le ralliement des républicains, orléanistes, de catholiques libéraux, une alliance nouvelle entre les opposants dynastiques et républicains.
Ce mouvement intellectuel rencontre peu d’échos dans les campagnes préoccupées par la prospérité de leurs communes et soucieuses de stabilité politiques.
CHAPITRE XI Les dernières années : la fin du napoléonisme
Malgré les apparences rien ne prédestinait à la fin du régime durant ses 3 dernières années. La popularité de l’Empereur demeurait intacte comme l’a démontré le plébiscite de 1870, Le parti républicain et son alliance avec les libéraux n’a pas vraiment de projet et les campagnes demeurent fidèles à l’Empereur.
Le césarisme à l’épreuve du temps
Napoléon III est confronté au vieillissement de la génération des fidèles qui l‘a porté au pouvoir et à l’absence de renouvellement, les jeunes ambitieux ne choisissant pas la voie conservatrice.
Le régime tente d’assouplir le régime des libertés tout en voulant les contrôler. En janvier 1867 l’Empereur annonce des concessions. L’Adresse est supprimée et remplacée par l’interpellation directe des ministres détenant un portefeuille sans que pour autant cela puisse déboucher sur leur démission. Il promet également une plus grande liberté de la presse, ce qui sera fait un an plus tard.
La loi sur la presse du 11 mai 1868 porte la suppression de l’autorisation préalable et de l’avertissement. Le plus important parmi les nouveaux journaux est Le Réveil de Charles Delescluze dont le programme purement républicain incarne les valeurs de la grande Révolution et la nécessité de réformes sociales. Il regroupe la jeune génération républicaine dont Arthur Ranc.
Le plus grand organe d’opposition est La Lanterne d’Henri Rochefort qui tire en 1868 à 100 000 exemplaires. Le ton est d’emblée polémique avec des phrases restées célèbres « La France contient, dit l’Almanach impérial, 36 millions de sujet sans compter les sujets de mécontentement » ou son admiration ironique pour Napoléon III. Un autre journal Le Rappel se rattache à un nom célèbre, Victor Hugo.
Selon Jules Favre, opposant au régime et avocat, bâtonnier de l’Ordre en 1860, au cours des 13 derniers mois qui ont précédé avril 1869 le bilan des condamnations s’élève à 118 procès, 10 ans de prison et 135 200 francs d’amendes, touchant les feuilles parisiennes mais aussi celles de province.
Cette liberté relative conduit les républicains à revisiter l’actualité du coup d’État de 1851 par des livres. La province en décembre 1851 démontre l’inanité de la légende de la Jacquerie. Paris en décembre fait sortir de l’oubli un des héros de la barricade du 3 décembre 1851, Jean Baudin, un député qui s’était porté aux côtés des manifestants et tué par la troupe. A l’occasion du procès intenté contre Charles Delescluze, directeur du journal Le Réveil pour avoir lancé une souscription pour restaurer la tombe de Baudin, Gambetta se fait remarquer par des talents de tribun et lance pour l’occasion ses premières attaques contre l’Empire.
Gambetta en effet lance la focalisation sur le 2 décembre date d’anniversaire du coup d’État non célébrée par l’Empereur mais qui devient la date des opposants. En province la fronde se focalise sur la saint Napoléon qui donne l’occasion aux républicains de diffuser leurs attaques contre le régime.
Les élections de 1869 et leurs conséquences
Les élections de mai 1869 traduisent une évolution politique et une érosion du régime personnel. Les résultats ne sont pas franchement une victoire républicaine (une trentaine d’élus surtout parisiens) mais plutôt celle des candidats indépendants, hors liste officielle, qui ne sont pas pour autant des opposants au régime. Cette émancipation se traduit aussi par l’avènement d’une liberté nouvelle, celle de s’abstenir. Au final les candidats officiels constituent seulement la moitié du Corps législatif grâce au vote des ruraux qui restent très conservateurs et soutiennent le régime.
C’est pourtant à cette date que s’élabore le 1er programme républicain, le programme de Belleville où s’affirme nettement l’exigence d’un gouvernement démocratique. Issu des militants républicains et porté par Gambetta, il revendique l’application du suffrage universel pour les maires et conseillers municipaux, il réclame la liberté de réunion et d’association. Il propose également des réformes dans les domaines social, religieux et militaire, mais ces deux derniers points seront rapidement mis de côté. Il prévoit aussi l’abrogation de la loi de Sûreté générale (issue de la seconde république et renforcée par la loi de 1857 elle permet d’arrêter tous suspects de porter atteinte au gouvernement et pour certains de les condamner à transportation, déportation sans jugement), et des dernières entraves à la liberté de la presse, cautionnement et droit de timbre.
Ce mouvement porté par la jeune génération des républicains ne condamne pas encore les membres des « cinq », opposition officielle mais réclamant un aménagement du régime, dont les membres remportent un vrai succès lors de cette élection.
1869 est aussi l’année de l’ouverture du canal de Suez inauguré par l’impératrice le 16 novembre en compagnie notamment de l’empereur d’Autriche, du prince impérial allemand et de l’émir Abd el-Kader. Elle démontre que l’Empereur semble encore capable d’innover.
Suite à cette élection, Napoléon III comprend que ce sont les bonapartistes du Tiers-parti les véritables gagnants. Le sénatus-consulte du 10 décembre 1869 veut instaurer l’Empire libéral en donnant au Sénat les mêmes prérogatives que l’Assemblée, élection de son bureau, adoption d’un règlement, interpellation du gouvernement et proposition des lois. Cette stratégie s’égare dans les difficultés à constituer le gouvernement Émile Ollivier qui ne concrétise pas la réorientation du régime.
L’assassinat du journaliste Victor Noir le 10 janvier 1870 par un membre de la famille impériale, Pierre Bonaparte, rejaillit sur l’évolution du régime. Rochefort qui relate le fait divers dans La Marseillaise en faisant un acte politique caractérisant le régime, est arrêté et emprisonné à Sainte-Pélagie, prison parisienne. Pierre Bonaparte est relaxé pour légitime défense.
En ce début de 1870, des grèves éclatent et relaient celles d’Aubin (A,veyron) et de la Ricamarie. Elles interviennent dans climat de reprise de l’activité économique et de hausse des prix. En Janvier 1870 c’est le Creusot, la plus grande entreprise française avec 9 000 ouvriers dirigée par Eugène Schneider par ailleurs Président du Corps législatif, qui se met en grève. Les revendications des ouvriers dont certains sont membres de l’Association Internationale des Travailleurs, demandent à gérer la caisse de secours des ouvriers, la réduction du temps de travail et de meilleurs salaires. La grève est réprimée avec l’appui de 3 000 hommes de la troupe.
Par contre à Carmaux (Tarn) la grève se termine aux cris de « vive l’Empereur » et en Alsace les ouvriers en grève en appellent à l’Empereur. Ce sont des exceptions car les classes ouvrières se détournent clairement du bonapartisme populaire.
En mai 1870, Napoléon III a recours au plébiscite qui vise à approuver les réformes libérales, refuser les menaces d’une révolution et introduire la transmission de la Couronne à son fils (14 ans l’époque). Le résultat est très clairement en faveur du régime avec 7 350 000 oui et 1 538 000 non bien que le parti républicain ait appelé à voter non. A Paris, où les républicains sont influents et à Marseille, les deux plus grandes villes, le non l’emporte. Curieusement la Bretagne traditionnellement réfractaire au vote bonapartiste vote oui.
La déconvenue des républicains est grande, constatant que leur audience n’a guère évolué depuis 1848. Selon eux, la faute porte sur l’archaïsme paysan atavique. Ces résultats sont confirmés par les élections des conseillers généraux de juin 1870 où les élus républicains représentent moins de 5% avec cependant quelques villes « rouges » Lyon, Bordeaux et Lille.
Le sénatus-consulte du 21 mai 1870 jette les bases d’un véritable parlementarisme pour certains et pour d’autres ne fait qu’accroître les prérogatives du Corps législatif introduites en 1869 en affirmant la responsabilité des ministres sans dire devant qui. Les 2 chambres partagent désormais avec l’Empereur l’initiative des lois, mais la Constitution ne peut être modifiée qu’à l’initiative de l’Empereur et validée par voie de plébiscite.
Sedan : « Là où s’achève le crime de décembre »
C’est ainsi que Victor Hugo a caractérisé la fin du Second Empire illégitime par le coup d’État. Le plébiscite semblait donner au régime une longue perspective, mais en moins de deux mois la défaite lui sera fatale.
Si le débat de la responsabilité de la guerre demeure entre un Empereur malade ou un Impératrice omniprésente n’est pas tranché, il est clair que l’entourage de Napoléon III a soutenu cette décision. La cause première réside dans les ambitions de Bismarck (Ministre-Président du royaume de Prusse et Chancelier de la confédération d’Allemagne du Nord, source Wikipédia).
La crainte d’un grand état allemand était très ancienne. En 1648 Mazarin se souciait d’éviter la naissance d’un grand ensemble unifié allemand. En 1814 au congrès de Vienne Talleyrand s’inquiétait de l’agressivité potentielle des Allemands unifiés. Selon Émile Ollivier, chef du gouvernement, la cause initiale se trouve dans l’année 1866 où la Prusse (Allemagne du Nord, la Pologne, Kaliningrad, la Lituanie et une partie de la Russie du Nord) s’est annexée les Duchés Danois et les villes libres Francfort, la Hesse-Darmstadt et le Hanovre malgré leur volonté de rester autonome en vertu du « droit de conquête » contraire au principe des nationalités de l’Empereur et sans qu’il intervienne. Il se pose même en position de neutralité auprès de l’ambassadeur de Prusse à Paris.
Cependant cette doctrine des nationalités n’a pas été constante notamment au moment de l’insurrection polonaise en 1863.
Une autre cause est de n‘avoir pas tiré les conséquences de la bataille de Sadowa en 1866 qui a vu la victoire de la Prusse contre l’Autriche. Elle reposait sur un système de service militaire universel, capable de mobiliser très rapidement des troupes importantes, des armes modernes, le fusil Dreyse à culasse capable de tirer 6 à 8 coups par minute et de nouvelles tactiques militaires de mouvement. La France, bien qu’équipée elle aussi de fusils modernes, est restée au tirage au sort qui limite le contingent à 100 000 hommes en temps de paix.
Les raisons immédiates de la déclaration de guerre se situent en Espagne où se joue une révolution qui a chassé la reine Isabelle II de son trône (règne de 1833 à 1868). Trois candidatures sont proposées, celle du duc de Montpensier fils de Lois-Philippe celle de Dom Fernando du Portugal et celle du duc de Gênes, Thomas de Savoie. Bismarck encourage en secret la candidature au trône d’Espagne du prince Léopold Hohenzollern-Sigmaringen cousin catholique du roi de Prusse qui ne sera révélée que le 20 juin 1870.
C’est cela qui va déclencher le conflit. La France se sent menacée par cette possible reconstitution de l’empire de Charles Quint et en conséquence dans ses intérêts économiques, notamment ses débouchés dans le domaine du transport.
La candidature prussienne est annoncée le 3 juillet et le 15 le Corps législatif vote les crédits militaires. Napoléon III exige le retrait de cette candidature. Retrait accordé par un communiqué du 12 qui réjouit le chef du gouvernement Émile Ollivier, mais l’Empereur exige des garanties auxquelles Bismarck (chef de l’exécutif allemand depuis 1862) n’accède pas.
Dès lors un consensus se forme y compris avec les républicains pour soutenir la guerre. Elle commence par une victoire à Sarrebruck le 2 août ce qui déclenche un enthousiasme national. La suite ne sera que déconvenues, à Wissembourg en Alsace le 4 août, le 6 août à Woerth avec Mac-Mahon. Dès lors l’Alsace devient allemande. En Lorraine à Forbach le général Frossard est battu faute d’avoir reçu l’aide de Bazaine (commandant en chef de l’armée du Rhin à partir du 12 août il sera rendu responsable de la défaite militaire de la guerre de 70).
Dès lors le consensus politique se dégrade très rapidement, à Paris où le 9 août une foule de 10 à 30 000 manifestants réclament la déchéance de l’Empereur, mouvement contré par la loi martiale, mais aussi en province à Toulon, Marseille, Mâcon, Montpellier, au Creusot ou à Limoges.
L‘armée du Rhin se replie sur Metz et Châlon pour préparer une contre-offensive dont elle s’avère incapable et finit par se trouver encerclée à Sedan le 31 août et la capitulation est signée le 2 septembre. Cette défaite signe un contraste entre la détermination et l’efficacité militaire prussienne et l’impréparation et l’incompétence des militaires français.
Dès le 3 septembre l’agitation est à son comble à Lyon et à Paris. Le général-comte Palikao qui avait été chargé par la régente de former un gouvernement le 9 août propose la création d’un conseil de gouvernement et de défense nationale composé de 5 membres du Corps législatif. Thiers propose la création d‘une commission exécutive, mais la gauche impose la déchéance de l’Empereur et de sa dynastie soutenu par la foule. Par dépêche télégraphique le 4 septembre Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, annonce la déchéance, la proclamation de la République et la constitution d’un Gouvernement de défense nationale de 11 membres dont Emmanuel Arago, Jules Ferry, Jules Favre et Jules Simon.